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Penser une alternative à Hadopi


L'hypothèse de la licence globale

Déceler les erreurs de la loi Hadopi est bien beau, mais proposer un système alternatif cohérent de rémunération des auteurs et artistes ne va pas de soi. La licence globale est parfois présentée à cet égard comme une alternative crédible, ayant pour moteur une redevance dont le montant est redistribué aux artistes, aux auteurs et aux producteurs par une Société de perception et de répartition des droits. En envisageant le paiement d'une redevance forfaitaire par les abonnés à Internet à haut débit, le projet vise à autoriser et à légaliser le partage. Évoquée dès 2004 en Europe, cette licence collective a été adoptée par surprise à l'Assemblée Nationale le 20 décembre 2005 sous la forme d'un amendement, annulé très rapidement par un nouveau vote... Il faut dire que la licence globale ne fait pas l'unanimité, et ce pas seulement chez les défenseurs de la riposte graduée. Des difficultés d'application ont été souvent soulevées, notamment du fait du caractère optionnel du paiement par les internautes. Un débat sérieux sur la question, et mobilisant tous les acteurs concernés, serait nécessaire pour donner à ce projet toute sa chance. Force est de constater que ce débat n'est pas près d'avoir lieu, et que le projet de licence globale souffre de fait d'un manque de popularité criant.

La contribution créative

Alors que la licence globale instaure un paiement optionnel par les internautes (d'où un certain flou sur les sommes collectées), Philippe Aigrain (co-fondateur de la Quadrature du Net) propose la mise en place d'une contribution créative répondant au besoin d'obtenir des sommes conséquentes pour financer la création. Ce projet de contribution créative est développé plus amplement dans l'ouvrage de Philippe Aigrain Internet et Création téléchargeable gratuitement en PDF sur le site d'InLibroVeritas Bibliotheca.
La contribution créative, véritable "pacte social entre les acteurs de la création et le public au sens large", repose sur trois piliers :
1) La reconnaissance que le partage hors-marché d'œuvres numériques est inévitable et même utile, pouvant conduire entre autres à une diversification de l'offre, ainsi que la restauration des liens entre les créateurs et leur public, parasités par les majors.
2) La nécessité d'inventer de fait de nouveaux mécanismes de financement et de rémunération.
3) La mise en œuvre d'un financement mutualisé à grande échelle, avec toutes les considérations institutionnelles et techniques que cela implique. Ce financement qu'est la contribution créative serait acquitté par tous les internautes bénéficiant d'une connexion à haut débit, selon un montant de 5 à 7 euros par mois (soit 1,2 à 1,7 milliard d'euros récoltés). Il serait utilisé "pour moitié comme récompense d'usages effectifs dans la sphère d'Internet et pour moitié pour soutenir l'environnement de la création future".
Ainsi, les internautes contribueraient au financement de la création, au sein d'un système qui viserait à une répartition plus égalitaire entre les créateurs. Reste que la contribution serait obligatoire, et considérée parfois comme subie. La question est alors de savoir s'il serait possible de concilier l'efficacité de la contribution et l'implication nécessaire des internautes au processus.







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Internet, droit fondamental


Un bien commun

Le débat sur la loi Hadopi aura eu ce mérite de conduire à la reconnaissance de l'accès à Internet comme un droit. La censure du Conseil Constitutionnel le 10 juin dernier a effectivement mis en échec le projet de suspension de la connexion à Internet par une autorité administrative. Comme l'indique Patrick Bloche (PS), "le Conseil Constitutionnel a affirmé que la liberté de communication et d'expression nécessite désormais que soit reconnu un droit d'accès à Internet. Ce droit est ainsi devenu un droit fondamental dérivé de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. (...) Il est ainsi désormais reconnu que l'internaute, via Internet, est titulaire à la fois du droit de s'exprimer et de communiquer".
Internet devient alors un bien commun auquel il faut garantir la liberté d'accès. Se pose rapidement la question du rôle qu'est amenée à jouer Internet dans la diffusion du savoir culturel comme dans la vie politique. Les interventions médiatiques fustigeant Internet (celle de Jacques Séguéla est la plus fameuse, Internet étant pour le publicitaire "la pire saloperie que les hommes aient jamais inventée"...) se sont multipliées ces derniers temps. C'est oublier que dans ce débat particulier sur Hadopi, de nombreux internautes se sont passionnés pour la bataille politique et juridique qui se déroulait sous leur yeux, en suivant grâce à Internet le débat à l'Assemblée Nationale. Internet a engendré un processus de politisation insoupçonné. Ce n'est certainement pas le JT du soir qui permettra aujourd'hui d'assurer pleinement cette fonction d'information, de réflexion, de prise de conscience. De même, on aurait tort d'oublier qu'Internet permet l'exercice réel de la liberté d'expression par tous, comme le souligne Benjamin Bayart (président de French Data Network). Les autres médias ne donnent pas vraiment la possibilité de s'exprimer, ils donnent seulement accès (ou sont sensés donner accès...) à l'information. Ce qui fait dire à Benjamin Bayart : "L'imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d'écrire".


De la neutralité du réseau

La neutralité du réseau est un enjeu essentiel de la bataille Hadopi, car elle a pour corollaire le respect de la liberté d'expression. Le réseau est neutre lorsqu'il n'y a aucune altération des contenus. Benjamin Bayart explique clairement l'enjeu de cette neutralité : "Comment savoir si le texte que je suis en train d'écrire sera bien reçu, non modifié, par mes lecteurs ? Comment savoir s'il sera modifié, et si oui par qui ? Moi, je vois bien ce texte tel que je l'ai posté. Tant qu'Internet est neutre, et que donc tout le monde voit le même Internet, alors tout le monde voit mon texte tel que je l'ai publié. Sitôt que le réseau n'est plus neutre, je n'ai aucun moyen de savoir ce que voit mon voisin. Donc, sur un réseau non-neutre, je ne peux pas exprimer librement ma pensée, et donc l'exercice pratique et réel de cette liberté est remis en cause". Ainsi, pour Benjamin Bayart, la bataille Hadopi n'est que le premier épisode dans ce combat mené pour la préservation de la liberté d'expression sur le net.


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L'oubli d'Hadopi

Si la question de la santé des grands conglomérats culturels a bien été posée, il semble que le débat sur la nécessaire redéfinition du concept de droit d'auteur ait été éludé. Il a été tranché en faveur des Majors. Au-delà de la défense des intérêts des auteurs, c'est la dimension publique de la culture qui est visée par un allongement continuel de la durée de protection légale.

Droit d'auteur, droit des producteurs ?

En 2008, comme le rappèle Benoit Sibaud (président de l'April), la durée des droits des artistes interprètes en Europe a été portée à 95 ans. Sous couvert de protéger les artistes des copies abusives, l'extension de ces droits visent surtout à maintenir le monopole des producteurs sur les œuvres acquises, pour retarder tant que possible leur entrée dans le domaine public. Une "propriétarisation" qui transforme le droit en contrôle, en appropriation, d'autant plus abusive que la part reversée aux artistes interprètes est souvent ridicule. C'est ce débat sur l'appropriation de la culture, bien public, par quelques uns qui aurait dû avoir lieu dans le cadre d'une Hadopi sensée protéger les artistes à l'heure du numérique. Mais la culture n'a pas été définie comme un bien commun public, la réflexion étant parasitée par les phobies des grandes industries culturelles. La question de l'accès à la culture, de l'échange culturel, de la libre circulation des savoirs, n'a pas été placée au centre des discussions. L'enjeu aurait dû de fait dépasser la simple problématique du piratage.

Pour un rééquilibrage du droit d'auteur

Le droit d'auteur est sensé reposé sur un équilibre. Équilibre entre les intérêts des producteurs, des artistes, et de leur public. Équilibre qui repose sur un monopole d'exploitation limité. Or, il est évident que cet équilibre n'existe plus aujourd'hui. Jérémie Nestel (
coprésident de l'association Libre Accès) indique à ce sujet qu'il serait tout d'abord nécessaire d'abaisser la durée de protection des droits des artistes-interprètes et des producteurs de musique, avant d'ajouter : "Il faut obliger les grands conglomérats culturels à investir dans la production de nouveaux artistes et non à vivre sur l'exploitation d'artistes morts". Un soutien aux producteurs, aux artistes, aux disquaires, aux libraires indépendants est indispensable. Jérémie Nestel propose en ce sens d'"imposer un quota d'artistes émergents à la radio et à la télévision en veillant à une équité de diffusion entre les grandes compagnies du disque et les producteurs indépendants". On l'aura compris, la question du droit d'auteur ne conduit pas seulement à soulever la nécessité d'un équilibre entre auteur et producteur, elle a aussi pour enjeu la diversité culturelle. On serait en droit d'attendre de la puissance publique qu'elle parvienne à défendre cette diversité, à savoir l'intérêt général, en montrant clairement l'incompatibilité entre la sphère de la connaissance et l'accroissement des monopoles privés inéquitables.


(à propos du projet qui vise à rendre l'Histoire Géographie optionnelle en Terminale S, un article intéressant de Jacques Sapir à lire sur le site de Contre Info).


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Hadopi et la République

Benoit Sibaud, président de l'April, qualifie la loi Hadopi d'"offensive juridico-politique". Cette offensive a raté sa cible, nous l'avons vu. Mais elle a laissé des traces, notamment d'un point de vue institutionnel. La démocratie comme la République ont été malmenées par une loi destinée à protéger l'intérêt de quelques uns.


Tout devient possible

Ce qui pouvait apparaître comme invraisemblable compte tenu de l'existence d'institutions républicaines est devenu possible. Martine Billard (PG) énumère les différents abus et les irrégularités, de la DADVSI à Hadopi 2 : " On aura pour ainsi dire tout vu : des lobbies faisant des démonstrations commerciales aux abords de l'Hémicycle sur invitation du ministre (DADVSI), un site privé "J'aime les artistes" promu par le ministère et pratiquant du marketing intrusif sur les boîtes de courriers électroniques personnelles des députés (Hadopi), des amendements et articles votés en séance à l'Assemblée contre l'avis du Gouvernement réexaminés trois mois après (DADVSI), des amendements adoptés contrairement à l'avis du Gouvernement disparaissant lors de la commission mixte paritaire (Hadopi-1, première lecture), un texte de loi rejeté entièrement le 9 avril 2009 après le passage en commission mixte paritaire réinscrit à l'ordre du jour deux semaines après (Hadopi 1, deuxième lecture), et, enfin, une censure constitutionnelle le 10 juin 2009 contournée par un nouveau projet de loi déposé le mois suivant (Hadopi 2)". L'énumération de la députée montre bien l'ampleur des dégâts. Philippe-Charles Nestel (membre de l'April et de l'AXUL) nous rappèle également que le 30 octobre 2008, 200 amendements ont été examinés en une seule journée au Sénat. L'Assemblée Nationale a fait beaucoup mieux, avec 800 amendements en 15 minutes...

Un état d'esprit anti-démocratique

Le manque de respect envers les institutions établies et le mépris du peuple vont de pair. Jérôme Bourreau-Guggenheim livre à cet égard une réflexion intéressante sur les conséquences d'Hadopi sur la vie démocratique. Il est bien placé pour évoquer ce qu'il nomme "une désagrégation de notre démocratie", lui qui a été licencié pour avoir envoyé un courriel privé à sa députée. Pour Jérôme Bourreau-Guggenheim, c'est la dimension réflexive de notre démocratie qui est remise en cause. Tout devient marketing et communication. Cette invasion du champ politique par la communication est particulièrement visible avec le bataille Hadopi. Désinformation d'un côté, et technocratie de l'autre, verrouillent progressivement la vie démocratique. Le débat d'experts n'en est d'ailleurs pas vraiment un. Les experts en question sont loin d'être indépendants et la débat faussé d'avance: "Recrutés par nos gouvernants, ils [les experts] sont chargés de traduire une réalité en volonté politique dans un brouhaha technique volontairement inaudible pour une majorité de citoyens ne disposant pas des connaissances nécessaires pour en comprendre pleinement les tenants et les aboutissants." (Jérôme Bourreau-Guggenheim dans son article "condamné par une loi qui n'existe pas"). L'un des buts inavoués d'Hadopi, comme l'indique Nicolas Dupont-Aignan (DLR), est de faire disparaître le citoyen au profit du consommateur.

Conflits d'intérêt

Mais l'un des délits les plus flagrants de l'Hadopi reste ce mélange des genres dont nous avions déjà eu l'occasion de parler, cette confusion entre l'intérêt privé et l'intérêt général, entre l'économique et le politique. Jérémie Nestel (coprésident de l'association Libre Accès) présente le projet Hadopi comme pensé sur mesure pour les grandes industries culturelles et leurs actionnaires. La loi apparaît alors comme une association d'intérêts, à peine masquée, entre les majors et les Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI) sur le dos des internautes et des artistes. Si tel n'était pas le cas, comment expliquer alors que la mission chargée de plancher sur Hadopi 3 soit constituée du PDG du label Naïve Patrick Zelnick ainsi que de 7 dirigeants de syndicats d'éditeurs d'œuvres ? Pour résumer ce conflit d'intérêt, Martine Billard affirme qu'Hadopi n'est que le reflet du "pouvoir décomplexé des lobbies des industries de la culture et du divertissement qui veulent conserver leur position dominante coûte que coûte auprès de la représentation nationale, quitte à que soient bafouées les règles élémentaires de la démocratie et du débat institutionnel." Denis Olivennes incarne bien ce mélange des genres, comme le fait remarquer Guillaume Champeau (fondateur de l'excellent Numerama) : "Peu s'offusquent alors de voir le président de la FNAC, premier vendeur de disques en France, prendre la tête d'une mission gouvernementale destinée en substance à contraindre les clients de son enseigne à continuer à consommer la musique de ses fournisseurs. (...) On imagine le remous si l'on avait demandé à Michel Edouard-Leclerc de présider une commission sur le prix du lait dans la grande distribution..." Au final, l'attitude des majors est doublement blâmable : parce qu'ils ont détourné, avec la complicité des gouvernements en place, la loi publique à des fins privées, mais aussi parce qu'ils refusent d'évoluer. C'est ce qu'explique clairement Jacques Boutault (Verts) : "Les majors, producteurs de disques ou de films se sont gavés de profits durant des années. Ils ont engrangé des rémunérations insolentes et n'ont distribué que des miettes à la création. Aujourd'hui, leur modèle est à bout de souffle. Ces dinosaures n'ont pas vu venir le changement d'ère. A force de ne produire que des artistes choisis pour être rentables, de n'éditer qu'une infime minorité parmi les milliers d'auteurs, les majors ont, à la fois, tué la diversité et accéléré leur propre déclin. Incapables d'inventer un autre business modèle, ils lorgnent sur un nouvel espace à marchandiser".

A suivre...
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Pour le député Christian Paul (PS), Hadopi est "une des premières controverses marquantes de l'entrée dans la civilisation numérique". L'une des premières, mais certainement pas la dernière, de l'avis de nombreux auteurs de cet ouvrage. La bataille ne fait que commencer. De quelle bataille parle t-on ? Et surtout quels en sont les enjeux ? On découvre au fil des pages que c'est la liberté des 28 millions d'internautes français qui est remise en question.

Incompétence et simplisme

Dans sa Préface, Christian Paul donne tout de suite le ton : Hadopi est décrite comme "un frein à l'intelligence, un déni de démocratie, un dispositif impraticable, une offense aux principes et aux libertés numériques, bouée de sauvetage lancée comme une improbable aumône aux artistes". La loi a effectivement de nombreux défauts. Mais ce qui frappe surtout d'emblée, c'est que cette loi était obsolète avant même son entrée en application.

Chronique d'un échec annoncé

Hadopi était vouée à l'échec. Immense usine à gaz qui coûtera près de 7 millions d'euros d'après le gouvernement (7 millions qui deviennent vite 30 voire 100 millions d'après les estimations autres que gouvernementales), le projet de loi n'est pas en adéquation avec la réalité. Pas plus avec la réalité des milieux artistiques qu'avec celle du piratage. Pire, on pouvait être sûr que la loi serait inefficace alors même qu'elle n'était pas encore votée. Philippe Langlois (professeur émérite à l'université Paris X, agrégé de droit) précise ainsi que "les réseaux Peer to Peer utilisent des systèmes de caches, des relais et des systèmes d'encryption qui sécurisent les échangent, et les rendent impénétrables au système de surveillance décidé par le pouvoir politique". Il faut dire que la DADVSI (loi relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l'Information - 2003) avait déjà échouée. Parmi les peines prévues figuraient 300 000 euros d'amende et 3 ans de prison. Hadopi reprend exactement le même arsenal de peines (en y ajoutant la coupure d'accès à Internet), preuve en est que la DADVSI n'a visiblement pas été d'une grande efficacité. Mais les pouvoirs publics n'ont tiré aucune leçon de l'échec de la DADVSI. De fait, cette succession de lois inopérantes confine à l'absurde. Nicolas Dupont-Aignan (DLR) fait remarquer: "Une des caractéristiques communes à tous ces textes, DADVSI, Hadopi 1 et 2, volet numérique de la LOPPSI, c'est l'inefficacité. Un problème est identifié, on vote une loi dont de nombreux députés de tous les bancs soulignent la stupidité, et on passe au texte suivant".

Flagrant délit d'incompétence

La stupidité évoquée par Nicolas Dupont-Aignan s'explique par le manque de connaissance et de compétence des législateurs impliqués. Les questions du droit d'auteur, mais aussi celles relatives à Internet sont épineuses. Or, le projet de loi faisait état dès l'origine d'un certain nombre de zones d'ombres, de flous masquant mal les incompétences des législateurs et des pouvoirs publics. Passons sur les déclarations orales brumeuses de Madame Albanel, restées célèbres. Prenons seulement l'exemple des adresses IP, analysé par Jérémie Zimmermann (Co-fondateur de la Quadrature du Net). Ces adresses sont pointées par le gouvernement comme une preuve soi-disant fiable et irréfutable de la culpabilité de tel ou tel internaute. C'est oublier (ou ne pas savoir) que ces fameuses IP renvoient davantage aujourd'hui à une box qu' à un ordinateur précis, qu'il est par ailleurs possible de changer d'IP ou d'en détourner une. Ainsi, d'après Vinton Cerf, 25 % des ordinateurs connectés à Internet ont leur IP détournées par des tiers. Comment dès lors fonder une infraction supposée sur un simple relevé d'IP ? Difficile ne pas déceler ici "une méconnaissance des réalités de l'environnement numérique", comme l'indique Jérémie Zimmermann.

Un déni de complexité

On constate finalement que ce projet de loi Hadopi échoue à appréhender la complexité de la situation. Tout était simpliste dans la rhétorique du gouvernement. Aucune diversité. Tous les artistes sont mis dans le même panier, les pirates également a fortiori. Certains sont même allés jusqu'à comparer les oeuvres culturelles avec la baguette de pain payée au boulanger. Difficile à partir de là de construire un débat technique et approfondi... Les mêmes poncifs revenaient inlassablement à la tribune comme sur les plateaux de télévision : la gratuité, c'est du vol, et le piratage est responsable du naufrage de l'industrie culturelle. Sauf que la réalité s'avère être beaucoup plus complexe. Il y a bien une crise de l'industrie culturelle. Celle du disque est beaucoup plus concernée que l'industrie cinématographique. Comme le rappèle Laurent Chemla (Écrivain, informaticien, et co-fondateur du registrar français Gandi), les ventes de CD ont chuté en France: 150 000 CD vendus en 2002, seulement 90 000 en 2006. Mais si le téléchargement est responsable, comment expliquer que les ventes de DVD soient en hausse de 11% au premier semestre 2009, que celles des jeux vidéo aient explosées en 2008 (+22%) ? Les DVD et les jeux vidéo ne sont-ils pas tout autant soumis au piratage ? Les facteurs qui permettent d'expliquer les déboires de l'industrie du disque sont en fait multiples et ils ne se limitent pas au piratage, qui endosse mal le rôle du bouc-émissaire. Laurent Chemla émet plusieurs hypothèses: rééquilibrage du budget culturel des ménages au détriment de l'industrie musicale, baisse de l'offre (divisée par 2 en 5 ans!), et prix toujours élevés. Dans tous les cas, la situation est complexe et il est nécessaire d'appréhender cette complexité quand on prétend aider les industries culturelles en souffrance. En se réfugiant dans le simplisme, les pouvoirs publics commettent un déni de réalité flagrant, qui laisse présager d'autres manquements plus graves encore.


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Depuis jeudi, le livre La bataille Hadopi est disponible gratuitement en téléchargement PDF (licence Creative Commons by-sa 2.0) sur le site InLibroVeritas Bibliotheca. 3 formats payants sont également disponibles. Nous rappelons que cet ouvrage a été coécrit par 44 auteurs d'horizons différents (hommes politiques, artistes, journalistes, juristes) qui proposent une réflexion sur les errements de la loi Hadopi, mais aussi des solutions alternatives concrètes.

L'ouvrage traite aussi bien de l'Internet comme droit fondamental et comme bien commun, que des principales erreurs du projet Hadopi, en passant par la mobilisation massive face à la loi (internautes et Conseil Constitutionnel). Mais il permet surtout de bien montrer la complexité des enjeux de la création artistique, loin des poncifs sur le piratage. Il met en avant la nécessité de repenser la notion de droit d'auteur au contact des nouvelles technologies. Pour les critiques émises et les solutions proposées, ce livre est une référence à mettre entre toutes les mains. Je détaillerai plus précisément dans les jours qui viennent les principaux points du livre.
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Deux mauvaises nouvelles nous sont parvenues ces dernières 48 heures au sujet d'Hadopi en France et en Europe.

La première vient de tomber ce soir : le Conseil Constitutionnel a validé l'essentiel du projet Hadopi 2. Seul le recours à l'ordonnance pénale est remis en cause, à savoir l'article 6.II de la loi. Le communiqué du Conseil Constitutionnel explique que les griefs à l'encontre des articles 1, 7, 8 et 11 de la loi ont été rejetés. Les sages ont notamment confirmé le fait que l'institution d'une procédure pénale spécifique applicable aux délits de contrefaçon commis par Internet est conforme à la Constitution.

L'autre mauvaise nouvelle est européenne. Hier, l'amendement 138 du Paquet Télécom a été neutralisé. Cet amendement était un rempart à la riposte graduée à l'échelon européen. Il obligeait les États membres à avoir recours à un "jugement préalable" avant la suspension de l'accès à Internet. Le Parlement européen a baissé les bras face aux représentants des États membres, et le nouveau texte ne mentionne désormais plus le recours préalable à un juge, rendant possible une riposte graduée. Certes, cette neutralisation de l'amendement 138 n'a que peu d'incidence en France puisque le Conseil Constitutionnel avait censuré la riposte graduée de l'Hadopi 1. Mais tous les pays européens ne possèdent pas ce rempart constitutionnel.

Malgré ces deux mauvaises nouvelles, l'affaire Hadopi, dont l'enjeu est le contrôle du net, n'est pas terminée pour autant. Elle ne fait même que commencer. C'est ce que suggère l'ouvrage "La bataille Hadopi", édité par InlibroVeritas, défenseur de la "littérature équitable". Cet ouvrage collectif qui sortira le 29 octobre se veut être une synthèse des oppositions aux projets Hadopi, mais aussi la défense d'une autre vision de la création artistique, où la Licence Créative et le Mécénat Global ont toute leur place. Nous aurons l'occasion de reparler très prochainement de cet ouvrage.
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Le quartier de la Défense


Nous avons appris cette semaine que Jean Sarkozy sera probablement, avec le soutien de la majorité du conseil général des Hauts-de-Seine, le prochain président de l'EPAD (Établissement Public d'Aménagement de la Défense). L'EPAD s'occupe, depuis sa création en 1958, de l'aménagement du site de la Défense. Le site du Point.fr a annoncé mercredi que Jean Sarkozy sera élu lors du prochain conseil d'administration de l'EPAD prévu le 4 décembre.

Il n'est pas question ici de juger la compétence de Jean Sarkozy. Le problème réside dans le fait que cet homme de 23 ans va prendre la tête d'un établissement public sensé gérer un site de 200 000 habitants et de 150 000 salariés. Le népotisme à la tête de l'État ne date pas d'aujourd'hui, mais est-ce une raison pour ne pas s'indigner ? Est-il acceptable que le président de la République puisse faire ainsi primer l'intérêt privé et familial sur l'intérêt général, en procurant à son fils un statut de citoyen au-dessus des autres citoyens ?

Que vont penser les jeunes populations diplômées sorties des universités, qui ne trouvent pas toujours du travail après huit années d'études, en voyant ainsi le fils du Président, qui n'a pas même fini ses études de droit, propulsé à la tête d'un Établissement chargé de la gestion du plus grand parc d'affaires européen ? Seront-elles jalouses ? Non, elles penseront simplement que nous ne sommes plus en République !
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C'est demain vendredi 2 octobre que le peuple irlandais est appelé à se prononcer à nouveau sur le traité de Lisbonne. Nous avons déjà eu l'occasion de nous interroger sur la pertinence démocratique d'une telle démarche, alors que le peuple irlandais a déjà rejeté le traité le 12 juin 2008. De nombreux sondages semblent prédire cette fois-ci la victoire du oui. Quelques remarques s'imposent sur ce nouveau vote, et sur ce qu'il nous apprend de notre Union Européenne.

Tout d'abord, on ne peut qu'être effrayé de l'anesthésie des démocraties européennes. Les médias français zappent totalement cet événement, préférant ressasser les faits divers. L'expression souveraine d'un peuple par le vote, sensée être un moment privilégié de la vie politique, n'intéresse plus grand monde. En Irlande, l'effervescence est bien là, mais le camp du oui bénéficie d'une meilleure représentation médiatique (comme en France en 2005 d'ailleurs). La commission européenne ne ménage pas sa peine pour convaincre les Irlandais. Elle est allée jusqu'à publier un livret pour résumer le traité de Lisbonne, en toute objectivité bien entendu...

C'est que l'enjeu est de taille. Un nouveau non des Irlandais provoquerait un séisme politique sans précédent. Il ouvrirait une brèche aux contestataires. Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, le traité de Lisbonne ne fait pas l'unanimité. Un article du Monde d'aujourd'hui signé Marion Van Renterghem rappelle à juste titre que "les présidents tchèques et polonais rechignent à signer le traité de Lisbonne, alors que les conservateurs britanniques menacent de tout reprendre à zéro s'ils arrivent au pouvoir au printemps". Sans parler des juges allemands de Karlsruhe qui ont pointé du doigt en juin dernier "le déficit démocratique structurel " européen, affirmant la nécessité d'une loi garantissant les prérogatives du Parlement national (lire à ce sujet l'édito du Monde Diplomatique d'Anne-Cécile Robert).

Pour faire adopter le traité, la commission européenne mise sur l'évolution de la situation depuis juin 2008. Des modifications ont été apportées au texte d'origine, notamment du point de vue du maintien de la neutralité militaire irlandaise. Des concessions qui à vrai dire sont bien faibles par rapport à l'ensemble du texte. Mais c'est surtout la crise économique qui pourrait bouleverser le scrutin. L'idée qu'un rejet du traité de Lisbonne aggraverait la crise avec l'isolement de l'Irlande a fait surface durant la campagne. Difficile de mesurer l'impact de la situation économique sur le comportement des Irlandais demain. Une chose est sûre : quel que soit le résultat, l'UE sortira décrédibilisée et affaiblie de cette affaire par son insistance et sa violation des règles démocratiques.

Sources :
- article du monde :
"La crise, meilleure alliée du traité de Lisbonne en Irlande"
-
article plus engagé sur Agoravox.
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Capture d'écran du site de l'émission Ce soir ou jamais


Du lundi au jeudi, en seconde partie de soirée (22h30-00h10) sur France 3, Frédéric Taddeï anime une émission culturelle nommée "Ce soir ou jamais" qui détone dans le paysage audiovisuel actuel.

C'est une émission qui se propose de traiter l'actualité au prisme de la culture. Mais elle ne le fait pas selon la mode des chroniqueurs. Celui ou celle qui a écrit un livre, qui a produit une œuvre, s'exprime directement, sans intermédiaire. C'est une émission qui laisse aux invités le temps de s'exprimer, une émission qui parvient à créer le débat, chose suffisamment rare pour qu'elle mérite d'être soulignée. Frédéric Taddeï et son équipe sont parvenus à proposer un rendez-vous culturel de qualité, avec une grande diversité de sujets abordés. Sur un même plateau peuvent se côtoyer une historienne, un économiste, un avocat, un cinéaste, une comédienne... Les invités ne sont pas classés, étiquetés, et c'est sans doute là la plus grande qualité de cette émission.

Surtout, les questions posées sont pertinentes. Certaines intéressent bien sûr plus que d'autres, puisqu'elles peuvent relever d'enjeux différents : sociaux, économiques, politiques, géopolitiques, philosophiques, artistiques... Mais dans tous les cas, Frédéric Taddeï propose aux téléspectateurs de s'interroger. Pour cette raison, je trouve que ce programme incarne une forme d'audiovisuel alternatif. Parce qu'il donne la parole à ceux qui connaissent un minimum leur sujet, et surtout parce qu'il rompt avec les références habituelles. Il est possible d'y entendre par exemple l'excellent Emmanuel Todd, ou encore l'historien Jean-François Sirinelli donner la réplique à François Bayrou avec Régis Debray ! (on est loin de "13h15 Le Dimanche" sur France 2 ou sur TF1 de ... ah ben non en fait on a pas d'exemple pour TF1, désolé...).

Parce qu'elle respecte la diversité d'opinion et qu'elle rend à la télévision un peu de sa noblesse, un grand merci à l'émission culturelle "Ce soir ou jamais" !
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Le président de la République était en forme hier soir lors de son intervention télévisée. Je ne reviendrai pas sur la violation de la présomption d'innocence dans l'affaire Clearstream largement commentée aujourd'hui sur le net ( Nicolas Sarkozy a affirmé qu' "au bout de deux ans d'enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel"). Le président a dû également s'exprimer sur le sujet de la taxe carbone. Et décrypter ses propos, ou du moins tenter de le faire, est intéressant à plus d'un titre.

Passons sur les arguments scientifiques énoncés par le Président pour justifier la taxe carbone, dont l'objectif serait de modifier les comportements des Français au quotidien. Nicolas Sarkozy a indiqué ensuite qu'il fallait "une taxe carbone aux frontières de l'Union Européenne". Ce serait effectivement souhaitable. Seule une taxe généralisée à l'échelle européenne est susceptible d'obtenir quelque efficacité, et une telle taxe aux frontières de l'UE aurait pour mérite de réduire le dumping environnemental.
Mais 30 secondes plus tard, le président assène : "Je suis contre le protectionnisme". J'aimerais bien savoir comment le président de la République définit le protectionnisme, quel sens il donne à ce mot. Il propose de taxer les produits importés, puis se présente ensuite comme opposé au protectionnisme. La contradiction ne lui apparaît visiblement pas. Il se trouve que la taxe carbone est une mesure protectionniste. Mais Nicolas Sarkozy pense comme de nombreux économistes que "protectionnisme" est un gros mot et qu'il faut s'en méfier comme de la peste, alors qu'en réalité chacun met en place dans son coin des mesures protectionnistes.

Le problème ne relève d'ailleurs pas seulement du lexique ou de la logique. La mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'UE est souhaitable, mais impossible dans le cadre de l'UE actuelle. L'ultra-libéral traité de Lisbonne empêche purement et simplement la mise en œuvre de telle mesures protectionnistes. Traité de Lisbonne qui a été promu entre autres par Nicolas Sarkozy...
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C'est cet après-midi qu'a eu lieu à l'Assemblée Nationale le vote sur le projet de loi de protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2). Le volet sanction de la loi antipiratage a été adopté sans surprise, par 285 voix pour et 225 voix contre. Difficile de se réjouir de ce vote, comme de la totalité du feuilleton Hadopi d'ailleurs. Combien de députés ayant voté pour ce projet de loi savent vraiment ce qu'il contient ? Combien de députés de la Majorité reconnaissent que ce texte n'est pas parfait tout en votant pour, soi-disant par "solidarité" ? Cette affaire montre une fois de plus l'ampleur de l'amateurisme de certains députés, tout comme le poids inacceptable du régime des partis.

Au sein de l'UMP ou du Nouveau Centre, tout a été entrepris pour faire taire les dissensions. Monsieur Jean Dionis du Séjour (NC), opposant à l'Hadopi 1, ne s'est pas exprimé pour son groupe cet après-midi. On lui a préféré le député Lachaud qui s'est livré à un plaidoyer du texte. Et que dire des députés UMP Christian Vanneste ou Lionel Tardy, opposés au texte, mais eux aussi priés de se taire lors du débat sur la précédente mouture de l'Hadopi ? Nicolas Sarkozy avait visiblement fait de l'adoption de ce texte une question personnelle et il a pour l'instant obtenu gain de cause. Mais à quel prix ?

La République est bafouée, car c'est l'intérêt de l'industrie du disque qui l'emporte ce soir, pas celui des auteurs et des artistes comme on voudrait nous le faire croire. "La Chose Publique" est détournée au profit de l'interêt de quelques uns. Il suffit pour s'en convaincre de voir qui a été choisi pour présider la nouvelle mission "Création et Internet" chargée du développement de l'offre légale (Hadopi 3) : il s'agit du producteur Patrick Zelnick, PDG du label Naïve et du lobby européen Impala. Depuis quand choisi-t-on un producteur pour défendre les auteurs ? Le conflit d'intérêt n'est-il pas évident ? Cette confusion totale entre les intérêts privés et les lois de la République est absurde et inacceptable. Non seulement les projets de loi Hadopi seront inefficaces et coûteux, mais ils parviendront en plus en un temps record à décrédibiliser notre République.

Il ne reste plus désormais qu'à se tourner vers le Conseil Constitutionnel, en espérant une nouvelle censure salutaire. Tout en sachant pertinemment que même en cas de censure, un nouveau projet sera présenté pour "compléter" le précédent !

Sources :
- article de Numerama sur le vote de l'Hadopi 2
- article de Numerama sur Patrick Zelnick et l'Hadopi 3
vincnet500
NewsWeek publiait le 25 aout un article très intéressant sur les pratiques de torture aux Etats-Unis.
Article original

Jusque là, dans ce pays, le consensus était clair :
Certes les méthodes de torture sont violentes mais elles permettent d'obtenir des informations capitales dans la lutte contre le terrorisme.

Lundi dernier, l'administration Obama produit un rapport qui diffère beaucoup dans l'idée; il pose des questions :
- Les informations obtenues sont-elles valables ?
- N'aurions-nous pas pu obtenir ces informations par d'autres méthodes ?

Quelques pratiques de torture ?

- Privations de sommeil
- Positions inconfortables
- Violences physiques
- Simulations de noyade.
Cette dernière méthode, le "waterboarding" est une des méthodes les plus montrées du doigt par les militants anti-torture et les plus "soutenues" par les autres.
Waterboarding sur Wikipedia
Site Américain d'opposants à la torture

Et si ces méthodes ne fonctionnaient pas ?

Le rapport présente beaucoup d'exemples d'informations obtenues sans préciser si ces informations proviennent de méthodes d'interrogatoire "enhanced" ou de méthodes conventionnelles.

D'autres éléments se basent sur des exemples précis : un détenu, Khalid Sheikh Mohammed, ne donnait aucune information via les méthodes conventionnelles; après 183 "waterboarding", il a commencé à donner des informations crédibles.
Cependant, nous n'avons aucune information sur ce qui a été avoué par Khalid Sheikh Mohammed.
Ces informations étaient-elles justes ?
Après 183 "waterboarding", je pense que je pourrais bien avouer tous les méfaits du monde ! (même avant !)

Voilà la question principale posée par le rapport de l'administration Obama :
Ces méthodes "avancées" d'interrogatoires sont-elles réellement efficaces ?

Voilà un vrai pas en avant même si nous pouvons nous dire qu'il aura fallu tant d'années (et de souffrances inhumaines) pour que le gouvernement Américain daigne enfin se poser cette question.
 
vincnet500
Avec la rentrée, les discussions sur la réforme de la taxe professionnelle vont reprendre.

En effet, cette réforme représente un manque à gagner pour le gouvernement.
Il est assez difficile d'avancer des chiffres puisque qu'ils changent tous les jours...
Si certaines sources parlent de 5 milliards d'autres vont plus sur 7 à 8 milliards.

Pour comprendre la situation, voici les points qui vont être traités :

1 - Explication des principes de la réforme de la taxe professionnelle
2 - Explication des principes de la taxe carbone
3 - Faut-il lier les deux taxes ?
4 - Une piste pour combler le manque à gagner.

1 - Explication des principes de la réforme de la taxe professionnelle

Premièrement, la réforme se matérialiserait par la suppression totale de la taxe professionnelle sur les biens d'équipement (machines).

Pour ce qui concerne le foncier, la taxe ne serait pas supprimée mais "la base foncière imposable serait réduite de 15% pour les établissements industriels". L'objectif est ici de favoriser les industries, ce qui était le cheval de bataille du président Sarkozy.

Ensuite, la réforme intègre une nouvelle "cotisation" dépendant du chiffre d'affaires mais basée sur la valeur ajoutée.
Cette cotisation avait été présentée par la commission des Finances de l'Assemblée nationale et a été reprise et modifiée par Bercy en y introduisant un taux progressif; en effet, sans ce taux progressif les PME se situant entre 3 et 7,6 millions d'euros de chiffre d'affaires auraient vu leur taxe professionnelle augmenter; ce ne sera pas le cas avec cette cotisation progressive.

Quelques exemples :
- Entreprise de moins de 500 000 € de CA : non imposable
- Entreprise de 3 millions d'€ de CA : 0,5 % de la valeur ajoutée
- Entreprise de 10 millions d'€ de CA : 1,4 % de la valeur ajoutée
- Entreprise de plus de 50 millions d'€ de CA : 1,5 % de la valeur ajoutée

De cette opération, le gouvernement nous assure "qu'aucun secteur d'activité ne serait globalement perdant".

Cette explication n'est pour l'instant qu'une hypothèse mais on peut imaginer que, dans les grandes lignes, elle devienne la réforme officielle dans les prochains jours.

2 - Explication des principes de la taxe carbone

La taxe carbone a pour principe de taxer le rejet de CO2.
Plus vous utilisez des équipements rejetant du CO2, plus vous payez de taxe carbone.
Le principe de cette taxe a été soutenu par Nicolas Hulot dans son "pacte écologique" et plusieurs pays comme la Suède, le Danemark, l'Allemagne ont déjà mis en place une telle taxe. (La Suède en vente les mérites écologiques et économiques)

Tous les Français sont potentiellement concernés par cette loi :
- Les particuliers avec une augmentation de l'électricité, du gaz, du carburant (plus forte augmentation pour le gasoil que pour l'essence : le gouvernement souhaite que les prix des deux carburants se rapprochent le plus possible)
- Les entreprises qui ne sont pas encore soumises au système des quotas de CO2.

Cette mesure est tout de même critiquée :
- L'UFC-Que Choisir parle d'une "TVA repeinte en vert".
- Les Français dépendant de l'énergie polluante ne pourront pas réduire leur consommation mais paieront plus, ce qui fait de cette mesure une réforme inégalitaire.
- Même si cette proposition est moralement juste, est-ce le moment de présenter une loi visant à surtaxer des éléments comme l'électricité, le gaz ou l'essence ? Nous essayons de sortir de la crise et ces éléments de consommation sont, on le sait bien, symboliques pour le moral des ménages et leur aptitude à consommer ! Essayons plutôt de relancer durablement la consommation avant de chercher à surtaxer même pour de "bonnes" raisons !

Un bénéfice de 8 milliards d'€ : cette somme récupérée grâce à la taxe carbone devrait être "intégralement reversée" sous formes de compensations.
A ce niveau, c'est le flou intégral (comme souvent quand il s'agit de redistribuer de l'argent... ;)) : allègements de charges sociales, chèques aux ménages, chèques verts, ...

3 - Faut-il lier les deux taxes ?

Comme la taxe professionnelle est en partie supprimée, certains voient dans ce nouvel impôt qu'est la taxe carbone une compensation.
Cependant, ce lien ne tient pas la route.

- Tout d'abord, comme nous l'avons dit, cet impôt doit être redistribué et ce n'est donc pas une compensation pour l'Etat.
- Les organisations écologiques voient d'un mauvais oeil qu'une mesure écologique soit conçue par rapport à la rentabilité qu'elle va produire... (pas très sain comme approche...)
- A Bercy, c'est blanc ou noir en fonction des jours... Christine Lagarde précisait fin juillet qu'il ne fallait surtout pas lier les 2 taxes mais a déclaré il y a quelques jours "que le manque à gagner lié à la réforme de la taxe professionnelle pourrait en partie être compensé par les recettes de la future Contribution climat énergie (CCE, nom officiel de la taxe carbone)". Hummm... Y a-t-il un pilote dans l'avion ?!

4 - Une piste pour combler le manque à gagner.

Afin de terminer cet article, j'aimerai juste présenter une piste pour combler le manque à gagner du à la réforme de la taxe professionnelle.
Vous allez être surpris mais je vais vous parler des dépenses de fonctionnement de notre État Français.
Si ces dépenses étaient de 34 milliards en 2006, elles avaient été abaissées à 33 milliards en 2007; elles sont à 37,5 milliards en 2008. Je n'ai pas les chiffres prévisionnels de 2009 mais gageons qu'ils aient encore augmentés.

Comment justifier cette augmentation ?

Petite leçon d'économie : quand une entreprise est touchée par la crise ou tout simplement par une baisse d'activité, avant de penser à réduire la voilure, on pense à réduire les frais de fonctionnements ! Toutes les entreprises PRIVEES de ce pays connaissent bien cela depuis le début de la crise !

Faisons de même pour l'Etat Français et fixons à 30 milliards d'€ (pas un centime de plus) les dépenses de fonctionnement.
Voici donc 7,5 milliards d'€ (au minimum) de gagner pour compenser la réforme de la taxe professionnelle !

Remarque :
Eric Woerth travaille sur des projets dans ce domaine.
Espérons qu'il parvienne à des résultats rapidement !
 
N88
Depuis le début de l'année, les déclarations relatives au protectionnisme n'ont cessé de fuser. Face à la crise économique, certains ont cru bon, à juste titre sans doute, de replacer le thème du protectionnisme au cœur du débat. Pourtant, les termes de ce débat semblent mal posés. Et pas seulement parce que ce sont toujours les mêmes économistes qui sont jugés télégéniques, mais aussi parce que les propos que l'on tient à l'encontre du protectionnisme en France relèvent souvent de l'hypocrisie.


Le protectionnisme est une forme d'interventionnisme économique. L'État protectionniste protège son économie contre la concurrence des autres États. La mise en place de barrières douanières, les politiques de subventions, aux acheteurs comme aux producteurs, relèvent entre autres du protectionnisme. Cette théorie économique du protectionnisme ne manque pas d'ennemis. De l'OMC à l'UE en passant par le FMI, elle est souvent décriée et considérée comme "une menace", comme "une tentation" à laquelle il ne faut surtout pas céder. Mais que reproche-t-on exactement au protectionnisme ?

Il est nécessaire de passer en revue les accusations souvent proférées, et qui relèvent à la longue de l'automatisme:
1)"le protectionnisme, c'est le nationalisme": la correspondance entre protectionnisme et nation n'est pas rigoureusement exacte. Le protectionnisme peut très bien s'envisager à l'échelle d'un groupe d'États ou même d'un continent. Quant à une identification systématique avec le nationalisme, elle ne résiste pas à l'examen. La Grande-Bretagne serait-elle un État nationaliste caché lorsqu'elle dévalue sa monnaie de 30% contre l'euro, comme elle l'a fait récemment ?
2)"le protectionnisme est le lot des régimes autoritaires": comme l'indique Roland Hureaux sur son blog, dans un article traitant du protectionnisme, les États-Unis ont renforcé leurs défenses douanières dans les années 30. La Grande-Bretagne a également fait preuve de protectionnisme sur la même période. Ces deux États ne passaient pourtant pas pour autoritaires face aux puissances nazies et staliniennes naissantes.
3)"le protectionnisme, c'est le totalitarisme" : c'est sans doute la critique la plus extravagante et la plus outrancière. Tous les États qui ont pris ou prennent des mesures protectionnistes ne sont évidemment pas totalitaires. Le totalitarisme prend sa source dans d'autres lois, qui lui sont propres, et qui conditionnent sa survie : les lois de la Nature pour le nazisme, et les lois de l'Histoire pour le totalitarisme stalinien.
4)"le protectionnisme a provoqué ou aggravé la crise de 1929": c'est la critique la plus fréquente et la plus tenace. La plus fondée aussi sans doute. Il n'est pas facile de répondre et le débat ne sera jamais clos sur ce point. L'économiste Jacques Sapir, dans un de ces articles, explique que l'effondrement du commerce international a surtout eu pour cause l'accroissement des coûts de transport et l'instabilité monétaire. La contraction du commerce a principalement lieu entre janvier 1930 et juillet 1932, c'est à dire avant la mise en place des mesures protectionnistes. Il est vrai en revanche que les dévaluations opérées ensuite ont certainement été outrancières.
5)"le protectionnisme a conduit à la seconde guerre mondiale": que le protectionnisme ait pu conduire à un repli étatique est admissible. En faire la cause directe et unique de la seconde guerre mondiale est assurément exagérée. Hitler ne semblait pas avoir besoin de la théorie protectionniste pour justifier ses méfaits. C'est oublier la rancœur allemande et le traité de Versailles de 1919. Le second conflit mondial fut suffisamment complexe pour qu'il paraisse absurde d'en donner une seule cause.
6)"le protectionnisme est un égoïsme": la critique du protectionnisme est aussi présente sur le plan moral. Cette identification entre protectionnisme et égoïsme a été effectuée par le pape Benoît XVI, dans une lettre adressée à Gordon Brown, dans le cadre du G20 de Londres. Nous renvoyons sur ce point à l'article de Roland Hureaux, qui mérite vraiment d'être lu avec profit.

Toutes ces critiques renvoient à l'idéologie néolibérale dominante. Elles reposent en réalité sur une hypocrisie. Comme l'explique très bien l'économiste Frédéric Lordon dans son article "La menace protectionniste, ce concept vide de sens", il est d'autant plus absurde de craindre le retour du protectionnisme qu'il est déjà souvent pratiqué. Parce que les économies nationales et les législations sociales et environnementales sont différentes, parce que le monde est hétérogène et qu'enfin la concurrence non-faussée est un mythe, de nombreux États pratiquent déjà des mesures protectionnistes. Les Américains protègent leur agriculture et leurs industries, la Grande-Bretagne dévalue, la Chine manipule ses taux de change. Et Frédéric Lordon de demander: "N'est-il pas absurde alors de hurler à la "menace protectionniste" dans un monde qui l'est nécessairement ? ".

La théorie protectionniste a certainement ses limites et ses faiblesses. Mais elle mérite d'être analysée et étudiée comme toute autre théorie. Face à la crise économique actuelle, s'interroger sur le bien-fondé du protectionnisme n'est pas vain. Encore faudrait-il pour cela se débarrasser des idées toutes faites et autres raccourcis historiques, et reconnaître surtout que le monde protectionniste est déjà advenu, là, sous nos yeux, et que la question n'est plus de le fuir mais de l'organiser pour éviter des prises de décisions unilatérales regrettables.


N88
Le siège de la Commission européenne à Bruxelles


Les producteurs français de fruits et légumes ont appris la semaine dernière qu'ils allaient devoir rembourser des subventions publiques versées entre 1992 et 2002, pour un total de 500 millions d'euros (voire 700). L'État Français n'avait paraît-il pas informé la Commission de la teneur de ces subventions, contrairement à ses voisins italiens et espagnols. Faut-il donc croire qu'il n'y a derrière cette affaire qu'un problème de transparence ? Bien sûr, on ne peut qu'être indigné devant l'absence de prise de responsabilité par l'État, qui demande grosso modo aux agriculteurs de payer pour les erreurs commises par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Mais en réalité, les enjeux vont bien au-delà de ces déficiences étatiques nationales. La Commission européenne de Bruxelles semble avoir un problème avec les États en général, et avec l'État Français en particulier.

Faire confiance au Marché

La Commission semble être douée d'une confiance totale dans le Marché, au point de considérer d'après elle qu'il se régule tout seul. Ainsi, dès que l'occasion se présente, Bruxelles prend parti contre les États qui ont osé intervenir dans leurs économies. Récemment, l'État Français a dû se montrer persuasif pour faire accepter son plan de relance appliqué au secteur de l'automobile. Bruxelles ne voyait dans ce plan de relance qu'un interventionnisme de l'État excessif, contraire à son dogme de la libre concurrence. D'ailleurs, tout a été entrepris depuis une quinzaine d'années pour que le rôle des États au sein de l'UE soit minoré. Les dérégulations, comme celle de la PAC, ne sont pas à interpréter autrement...

L'ultra-libéralisme forcené de Bruxelles

Cette manie des dérégulations, la Commission la puise dans son dogme de la "concurrence libre et non-faussée". Les États ne doivent pas subventionner, ne doivent pas intervenir, car ils fausseraient la concurrence. Les subventions sont considérées comme "illégales". Mais Bruxelles n'a visiblement toujours pas compris que la concurrence était depuis bien longtemps faussée, tant les législations sociales et environnementales divergent d'un État à l'autre. Peut-on encore parler de "concurrence libre et non-faussée" lorsque ramasser un kilo de pêches en Espagne coûte deux fois moins cher qu'en France ? Peut-on encore parler de "concurrence libre et non-faussée" dans le domaine industriel face aux conditions de production en Chine, ou toute législation sociale, et a fortiori environnementale, semble inexistante ?

La crise du système néolibéral aurait dû avoir au moins un avantage : conduire à l'acceptation par Bruxelles du rôle que les États peuvent être désireux de jouer dans leurs économies en difficulté . Ce n'est visiblement pas pour tout de suite...


N88
Raisons d'espérer

Il semblait difficile de terminer cette série d'articles relatifs au traitement de l'information politique par les médias sans une note d'optimisme. Et c'est Internet qui nous l'offre. Par la diversité des points de vue proposés et la liberté de ton qui y règne, le web est heureusement là pour nous permettre de rompre avec la monotonie solennelle des médias télévisés.

Les Républiques du Web

Les blogs et les sites Internet ont des avantages considérables sur les médias traditionnels. Ils ne sont tenus ni par le temps, ni par une engeance financière conséquente. Il en résulte une information beaucoup plus libre que de nombreux autres médias ne pourraient se permettre de publier. On pourrait cependant penser que le pouvoir politique d'Internet reste limité. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Il suffit pour s'en rendre compte de prendre l'exemple de la loi Hadopi. Des sites comme Numerama, PC Inpact ou la Quadrature du Net ont acquis une influence considérable. Ils jouent un rôle politique non négligeable dans la diffusion et le décryptage de l'information. D'ailleurs, comment parvenir aujourd'hui à bien s'informer sur cette loi sans Internet ? Le discours des médias télévisés est simpliste à souhait: les pirates sont des méchants voleurs ( l'industrie du disque n'étant bien sûr nullement en cause) et celui qui télécharge illégalement est comparé à un assassin de la route, voire même à un pédophile si l'on en croit les récents propos de Michèle Alliot-Marie... On comprendra aisément dans ce contexte qu'Internet apparaisse comme une bouffée d'air frais dont nous ne pourrions plus aujourd'hui nous passer. Si le Web tend à devenir un acteur politique à part entière, même hors période électorale, nous n'allons pas nous en plaindre. Il brise le bipartisme et permet enfin aux petits partis privés d'antenne d'avoir un relai d'opinion. C'est sans doute pour cela qu'il fait l'objet d'une tentative de contrôle.

Une tentative de contrôle vouée à l'échec

Cette tentative de contrôle du Web (l'expression peut paraître outrancière, mais c'est bien de cela dont il s'agit) a été récemment décryptée par Numerama dans un excellent article qui tente d'assembler les pièces du puzzle. L'Hadopi, puis la Loppsi ( loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) ont effectivement de quoi inquiéter. La Loppsi prévoit ni plus ni moins l'installation de mouchards électroniques, la légalisation des chevaux de Troie comme mode d'écoute à distance, la création d'un fichier nommé "Périclès" contenant un certain nombre de données personnelles, ou encore (mais la liste n'est pas exhaustive) l'obligation pour les Fournisseurs d'Accès à Internet de bloquer l'accès à des sites dont la liste aura été déterminée par l'administration. Sans verser dans la paranoïa, de tels projets de lois sont assurément dangereux. Mais l'on constate que ces projets rencontrent logiquement de nombreux opposants. Sans parler de l'adoption de l'Hadopi sans cesse retardée, la Loppsi pourrait bien subir le même sort. Nous avons la naïveté de croire que cette tentative de contrôle du net est vouée à l'échec. Il faut du moins l'espérer. Car n'en déplaise à Mr Denis Olivennes, qui affirmait le mois dernier qu'"Internet est le tout à l'égout de la démocratie", le Web est l'une des plus belles choses qui soit arrivée à notre République depuis bien longtemps.
N88
État de la presse écrite

Si les insuffisances de l'information politique proposée par les médias audiovisuels ne sont plus à démontrer, qu'en est-il de la presse écrite ? Elle a subi ces dernières années de profondes transformations, et semble-t-il pas toujours dans l'intérêt du lecteur-citoyen...

Le marché de l'information

Ce qui surprend le plus depuis déjà plusieurs décennies, c'est le rachat quasi systématique d'un certain nombre de titres de la presse écrite par des grands groupes financiers. L'information est devenue un marché d'affaires comme un autre, où la solvabilité et les bénéfices des groupes concernés comptent avant tout. Si l'on regarde le paysage de la presse écrite d'aujourd'hui d'un peu plus près, on se rend compte que plusieurs grands groupes se partagent le butin. LVMH (qui s'occupe aussi de cosmétique et de joaillerie) possède les Échos, le groupe Lagardère Le Journal du Dimanche et Paris Match (mais aussi soit dit en passant de nombreuses radios dont Europe 1), Serge Dassault la Socpresse qui publie entre autres le Figaro, et François Pinault Le Point, via la holding Artémis.
La constitution de ces véritables conglomérats de l'information est d'autant plus gênante que leur lien avec le pouvoir politique est parfois trouble. Ainsi, la proximité entre Arnaud Lagardère et Nicolas Sarkozy n'est plus à démontrer, l'homme d'affaire ayant d'ailleurs été promu chevalier de la Légion d'honneur en janvier dernier. Quant au sénateur UMP Serge Dassault, le savoir à la tête d'un groupe de presse n'est pas vraiment rassurant, puisque l'homme avait affirmé au cours d'un entretien publié dans Le Monde en 2004 que les journaux devaient diffuser des "idées saines" (?) car "nous sommes en train de crever à cause des idées de gauche". Disons que Serge Dassault a une conception bien particulière de la pluralité d'idées sensée régner dans les médias... Au -delà de ces partialités assumées, le lien de plus en plus ténu entre l'information et le monde des affaires semble avoir renforcé l'uniformisation de la presse.

Le syndrome Gala

Du côté des "news magazine" (comme Le Point, le Nouvel Observateur ou encore L'express), ce sont les unes récentes qui laissent pantois. Prenons l'exemple de la une du Point de cette semaine. Le magazine titre : "Rama Yade, l'insolente". Le sommaire est prometteur : "Punie par Sarkozy/Star malgré tout/Comment elle prépare sa revanche". Voilà une couverture que Gala ou Point de vue n'auraient pas reniée. C'est prodigieusement inintéressant. Pourtant, d'Hadopi à la réforme du travail le dimanche, les sujets ne manquent pas. Et n'en déplaise au Point, la fonction d'un ministre n'est pas d'être une star, mais de servir la France. La semaine précédente, les abonnés du Point avaient droit aux "Copains de Carla". Ils en ont de la chance les abonnés du Point !
Du côté du Nouvel Observateur, la situation a beaucoup changé depuis un an. Le magazine avait une ligne éditoriale plutôt de gauche, souvent même antisarkozyste. Mais c'était avant l'arrivée de Denis Olivennes. Il est devenu directeur général délégué du Nouvel Observateur en mars 2008. Ce dernier prétend que la ligne éditoriale n'a pas changé, mais la récente interview "exclusive" et complaisante du chef de L'État le 2 juillet dernier n'a visiblement pas satisfait tous les abonnés, si l'on en croit du moins la teneur des courriers des lecteurs reçus par la rédaction... D'ailleurs, la Société des Rédacteurs du Nouvel Observateur, habituée à une autre tonalité, a protesté contre "les conditions dans lesquelles a été réalisé l'interview de Nicolas Sarkozy". Les journalistes et les Rédacteurs en chef n'avaient effectivement pas été consultés avant la préparation de l'interview, effectué à la seule initiative de Denis Olivennes. Ce même Denis Olivennes qui, faut-il le rappeler, est à l'origine du projet de loi Hadopi et qui a été promu chevalier de la Légion d'honneur en 2008...

Dans ce contexte, il est difficile de trouver des raisons d'espérer, quant à une meilleure tenue de l'information politique dans notre pays. Pourtant, certains magazines, moins connus et subissant des engeances financières moindres, proposent certainement d'excellentes analyses, sérieuses et argumentées. Mais la véritable source d'optimisme aujourd'hui est ailleurs, et c'est du côté d'Internet qu'il faudra la chercher.
N88
Paysage audiovisuel

Ce n'est pas la première fois que se présente l'occasion de se plaindre du traitement de l'information politique par certains médias. Alors pourquoi en parler maintenant ? Parce que le week-end du 14 juillet a offert des exemples peu communs de servitude journalistique. L'émission de France 5 "A visage découvert" consacrée au président de la République et diffusée le 13 juillet dernier s'est particulièrement distinguée en la matière. L'occasion de se poser une question simple: à quoi ressemble l'information politique traitée par les médias audiovisuels dans notre pays ?

Information ou communication ?

L'information n'est pas la communication. Il y a dans la communication un objectif précis, un parti pris évident, une méthode de martèlement publicitaire dont l'information devrait être normalement dépourvue. Or, il est bien difficile aujourd'hui de dissocier les deux, tant l'information qui nous est proposée utilise souvent les idées reçues et les slogans. La publicité a tout emporté, tout n'étant plus qu'une affaire de force de conviction et de présentation. Lorsque des questionnements plus pertinents, plus poussés pourraient être évoqués, on les balaye d'un revers de main, en affirmant: "C'est trop technique". Non, ce qui semble être prioritaire, c'est tenir le téléspectateur en haleine avec des reportages courts, des portraits, des interviews, des "indiscrétions"...

L'uniformité audiovisuelle

Dans ce contexte, le paysage audiovisuel devient vite uniforme. Les JT de TF1 et de France 2 ont beau rivaliser d'imagination, le contenu de l'information qu'ils proposent est globalement le même. Ce sont les faits divers qui sont bien souvent privilégiés. Et comment traiter l'information de manière sérieuse avec des reportages de deux minutes ? Qui peut ainsi être correctement informé de la teneur exacte du projet de l'Hadopi en regardant seulement le journal télévisé ? D'ailleurs, d'une manière plus générale, tout semble être fait pour éviter le débat et la pluralité.
Que l'on se souvienne par exemple de l'émission d'Arlette Chabot du 4 juin dernier sensée proposée un débat de campagne électoral. Outre le foutoir ambiant, l'émission était initialement centrée autour de la dualité: 2 tables et 2 invités par table. Et lorsque des voix discordantes firent leur apparition, elles ont été forcées d'obéir à la même loi. Jean-Luc Mélenchon s'est ainsi retrouvé en face d'Olivier Besançenot (ce qui a d'ailleurs gêné les deux hommes car ils n'avaient au fond pas grand chose à se reprocher l'un l'autre). Mais chez Mme chabot, le débat fonctionne par pair. Pourquoi ne pas placer tous les invités autour d'une même table ? Non, c'eût été un vrai débat. Il était préférable de classer les invités, de les catégorier, de mettre en scène leur entrée en deux groupes, afin d'éviter tout débat entre les partisans d'une Europe fédérale et ceux qui militent pour une autre Europe, fondée sur une autre législation, confédérale notamment. Si l'on y prête attention, on se rendra d'ailleurs compte que la dualité, lorsqu'il n'y a pas qu'un seul invité, est souvent privilégiée dans les émissions politiques. Le bipartisme n'y est sans doute pas étranger.
L'émission"13H15 le Dimanche" en est un bon exemple: deux invités (un coup PS, un coup UMP), pour un débat purement factice, surtout lorsque l'un des deux invités n'est pas issu du monde politique. L'invité débite ses platitudes, l'esprit échauffé par les questions pertinentes de Laurent Delahousse (du genre: "Un Dimanche pour Arnaud Montebourg, ça ressemble à quoi ?). Lorsque la traditionnelle dualité est brisée, ce n'est que pour accueillir une tablée de quatre journalistes (dont 3 du Figaro), ou Mickaël Darmon, tout heureux de nous apprendre les dernières "indiscrétions " du Palais de l'Elysée que tout le monde attendait avec impatience. L'uniformité comme la dualité minent la vie politique. Comme le rappelait Raymond Aron dans son Essai sur les libertés, la démocratie est un système constitutionnel-pluraliste. Sans pluralité, la démocratie n'existe plus.

De la partialité au ridicule

Mais revenons à notre émission de France 5 "A visage découvert" qui motivait initialement cet article. Les journalistes Christian Malard et Bernard Vaillot étaient à la manœuvre. Il est préférable d'en regarder quelques extraits pour mieux se rendre compte de l'ampleur du désastre (la seconde vidéo est extraite d'un excellent article de Télérama).



Extrait de "A visage découvert"
par alatele75





On ne peut qu'être atterré devant tant de complaisance. Les deux journalistes ne sont pas embarrassés lorsqu'ils affirment : "L'homme a des ambitions qu'il cherche à imposer quitte à provoquer la rupture avec les habitudes et les consensus. Ses armes essentielles: la volonté et une force de persuasion peu banale". Le cirage de pompe se poursuit sans temps mort: " Nicolas Sarkozy est donc un homme aux ambitions multiples et pour les réaliser, il affiche une volonté tenace et s'inscrit dans une action permanente". Avant d'entonner, avec un souffle prophétique: "L'histoire de Nicolas Sarkozy est celle d'une ambition: convaincre, séduire, argumenter: il aime cela passionnément". Quant aux questions adressées au président, elles sont redoutables: " D'où vous vient cette énergie permanente ?", ose demander Bernard Vaillot. Cette insolence dans la servitude est incroyable. Même la télévision russe n'aurait pas voulu d'un tel "reportage". La chaîne s'est-elle seulement rendue compte qu'elle n'avait donné la parole qu'à de fervents partisans du président, d'Henri Guaino à Claude Guéant en passant par Brice Hortefeux ou encore Gordon Brown et Angela Merkel , forcément élogieux par diplomatie ? Cette complaisance a une conséquence évidente : le programme est d'une platitude consternante. Les plus beaux morceaux de bravoure reviennent à l'analyse de la politique étrangère du président. La discussion entre les deux journalistes sur le retour de la France dans l'OTAN relève d'une bande dessinée pour enfant : "Alors, pour rassurer et convaincre les États-Unis de laisser l’Europe construire sa défense, la France réintègre les structures de commandement de l’Otan et, en gage de bonne volonté, Nicolas Sarkozy envoie 700 militaires supplémentaires en Afghanistan. » / « Le général De Gaulle avait claqué la porte en 66, tu sais ? » / « Oui mais depuis, la situation était devenue très hypocrite : on participait à tout mais on n’avait pas le droit à la parole. » / « OK. Alors aujourd’hui on est complètement à l’intérieur de l’Otan et on a notre mot à dire. ". Ben voyons, c'est tout simple finalement...

Devant un tel spectacle, on se sent mal à l'aise. Il y a là quelque chose de kafkaïen, d'orwellien. La discussion entre les deux hommes n'est pas naturelle. Ce ne sont plus des journalistes mais des automates, des machines. Ont-ils été forcé à produire un tel reportage ? Pas le moins du monde ! Ils rampent dans les jardins de l'Elysée de leur plein gré, sans peur du ridicule. C'est sans doute cela qu'on appèle la courtisanerie.