N88
Capture d'écran du site de l'émission Ce soir ou jamais


Du lundi au jeudi, en seconde partie de soirée (22h30-00h10) sur France 3, Frédéric Taddeï anime une émission culturelle nommée "Ce soir ou jamais" qui détone dans le paysage audiovisuel actuel.

C'est une émission qui se propose de traiter l'actualité au prisme de la culture. Mais elle ne le fait pas selon la mode des chroniqueurs. Celui ou celle qui a écrit un livre, qui a produit une œuvre, s'exprime directement, sans intermédiaire. C'est une émission qui laisse aux invités le temps de s'exprimer, une émission qui parvient à créer le débat, chose suffisamment rare pour qu'elle mérite d'être soulignée. Frédéric Taddeï et son équipe sont parvenus à proposer un rendez-vous culturel de qualité, avec une grande diversité de sujets abordés. Sur un même plateau peuvent se côtoyer une historienne, un économiste, un avocat, un cinéaste, une comédienne... Les invités ne sont pas classés, étiquetés, et c'est sans doute là la plus grande qualité de cette émission.

Surtout, les questions posées sont pertinentes. Certaines intéressent bien sûr plus que d'autres, puisqu'elles peuvent relever d'enjeux différents : sociaux, économiques, politiques, géopolitiques, philosophiques, artistiques... Mais dans tous les cas, Frédéric Taddeï propose aux téléspectateurs de s'interroger. Pour cette raison, je trouve que ce programme incarne une forme d'audiovisuel alternatif. Parce qu'il donne la parole à ceux qui connaissent un minimum leur sujet, et surtout parce qu'il rompt avec les références habituelles. Il est possible d'y entendre par exemple l'excellent Emmanuel Todd, ou encore l'historien Jean-François Sirinelli donner la réplique à François Bayrou avec Régis Debray ! (on est loin de "13h15 Le Dimanche" sur France 2 ou sur TF1 de ... ah ben non en fait on a pas d'exemple pour TF1, désolé...).

Parce qu'elle respecte la diversité d'opinion et qu'elle rend à la télévision un peu de sa noblesse, un grand merci à l'émission culturelle "Ce soir ou jamais" !
N88
Le président de la République était en forme hier soir lors de son intervention télévisée. Je ne reviendrai pas sur la violation de la présomption d'innocence dans l'affaire Clearstream largement commentée aujourd'hui sur le net ( Nicolas Sarkozy a affirmé qu' "au bout de deux ans d'enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel"). Le président a dû également s'exprimer sur le sujet de la taxe carbone. Et décrypter ses propos, ou du moins tenter de le faire, est intéressant à plus d'un titre.

Passons sur les arguments scientifiques énoncés par le Président pour justifier la taxe carbone, dont l'objectif serait de modifier les comportements des Français au quotidien. Nicolas Sarkozy a indiqué ensuite qu'il fallait "une taxe carbone aux frontières de l'Union Européenne". Ce serait effectivement souhaitable. Seule une taxe généralisée à l'échelle européenne est susceptible d'obtenir quelque efficacité, et une telle taxe aux frontières de l'UE aurait pour mérite de réduire le dumping environnemental.
Mais 30 secondes plus tard, le président assène : "Je suis contre le protectionnisme". J'aimerais bien savoir comment le président de la République définit le protectionnisme, quel sens il donne à ce mot. Il propose de taxer les produits importés, puis se présente ensuite comme opposé au protectionnisme. La contradiction ne lui apparaît visiblement pas. Il se trouve que la taxe carbone est une mesure protectionniste. Mais Nicolas Sarkozy pense comme de nombreux économistes que "protectionnisme" est un gros mot et qu'il faut s'en méfier comme de la peste, alors qu'en réalité chacun met en place dans son coin des mesures protectionnistes.

Le problème ne relève d'ailleurs pas seulement du lexique ou de la logique. La mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'UE est souhaitable, mais impossible dans le cadre de l'UE actuelle. L'ultra-libéral traité de Lisbonne empêche purement et simplement la mise en œuvre de telle mesures protectionnistes. Traité de Lisbonne qui a été promu entre autres par Nicolas Sarkozy...
N88
C'est cet après-midi qu'a eu lieu à l'Assemblée Nationale le vote sur le projet de loi de protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2). Le volet sanction de la loi antipiratage a été adopté sans surprise, par 285 voix pour et 225 voix contre. Difficile de se réjouir de ce vote, comme de la totalité du feuilleton Hadopi d'ailleurs. Combien de députés ayant voté pour ce projet de loi savent vraiment ce qu'il contient ? Combien de députés de la Majorité reconnaissent que ce texte n'est pas parfait tout en votant pour, soi-disant par "solidarité" ? Cette affaire montre une fois de plus l'ampleur de l'amateurisme de certains députés, tout comme le poids inacceptable du régime des partis.

Au sein de l'UMP ou du Nouveau Centre, tout a été entrepris pour faire taire les dissensions. Monsieur Jean Dionis du Séjour (NC), opposant à l'Hadopi 1, ne s'est pas exprimé pour son groupe cet après-midi. On lui a préféré le député Lachaud qui s'est livré à un plaidoyer du texte. Et que dire des députés UMP Christian Vanneste ou Lionel Tardy, opposés au texte, mais eux aussi priés de se taire lors du débat sur la précédente mouture de l'Hadopi ? Nicolas Sarkozy avait visiblement fait de l'adoption de ce texte une question personnelle et il a pour l'instant obtenu gain de cause. Mais à quel prix ?

La République est bafouée, car c'est l'intérêt de l'industrie du disque qui l'emporte ce soir, pas celui des auteurs et des artistes comme on voudrait nous le faire croire. "La Chose Publique" est détournée au profit de l'interêt de quelques uns. Il suffit pour s'en convaincre de voir qui a été choisi pour présider la nouvelle mission "Création et Internet" chargée du développement de l'offre légale (Hadopi 3) : il s'agit du producteur Patrick Zelnick, PDG du label Naïve et du lobby européen Impala. Depuis quand choisi-t-on un producteur pour défendre les auteurs ? Le conflit d'intérêt n'est-il pas évident ? Cette confusion totale entre les intérêts privés et les lois de la République est absurde et inacceptable. Non seulement les projets de loi Hadopi seront inefficaces et coûteux, mais ils parviendront en plus en un temps record à décrédibiliser notre République.

Il ne reste plus désormais qu'à se tourner vers le Conseil Constitutionnel, en espérant une nouvelle censure salutaire. Tout en sachant pertinemment que même en cas de censure, un nouveau projet sera présenté pour "compléter" le précédent !

Sources :
- article de Numerama sur le vote de l'Hadopi 2
- article de Numerama sur Patrick Zelnick et l'Hadopi 3