N88

Le recours au sondage en politique n'est pas nouveau. Mais il semble depuis quelques années que le phénomène s'amplifie au point de faire du sondage un acteur politique à part entière. Pas un seul jour sans son petit sondage, sur les élections présidentielles de 2012, sur le prétendu moral des ménages et j'en passe... Ces chiffres assénés jusqu'à la nausée finissent par poser problème lorsqu'ils se mettent à organiser la vie politique, en remplaçant le débat, en devançant l'échéance électorale, en rendant la démocratie prévisible.

Les méthodes scientifiques qui fondent les sondages importent peu. Ce n'est pas non plus de la crédibilité de certains instituts, devenus incontournables, dont je veux parler. Seulement de la place absurde que le sondage a pris dans notre vie politique. On apprend hier que Dominique Strauss-Kahn l'emporterait face à Nicolas Sarkozy au second tour des présidentielles de 2012 (52 % contre 48 pour le président sortant - sondage CSA pour l'hebdomadaire Marianne ).
Sauf que nous sommes en 2010, que ni DSK, ni Nicolas Sarkozy ne se sont portés officiellement candidats (même si on ne se fait plus guère de doutes sur les ambitions des deux intéressés) et qu'à ce compte là, une bonne vingtaine de sondages sont possibles en vue du second tour, compte tenu de la brochette de présidentiables du moment...
Il est bien évident que le sondage fait des choix, que certaines personnalités politiques sont choisies au détriment des autres, et que les tendances à la mode jouent beaucoup dans le casting retenu, le sondage étant un produit qui doit se vendre et faire vendre.
Les instituts diront que de nombreux candidats potentiels étaient présents dans la liste, que ce sont les personnes interrogées qui ont fait leur choix, il n'en reste pas moins que les médias (surtout audiovisuels) ne s'encombrent pas l'esprit en diffusant la totalité du résultat du sondage et sa cinquantaine de chiffres. L'info retenue doit être simple : DSK est tout à fait crédible pour 2012. Et les autres candidats, et les petits candidats, ceux qui n'ont pas même été retenus comme candidats : on s'en fout...

Autre exemple. Le Point nous propose ce matin sur son site internet : "82 % des Français estiment que l'identité nationale existe". Sans blague ! Voilà un sondage qui nous scie les jambes. TNS Sofres a eu la bonne idée de demander aux Français si, pour eux, la France existe. Avec ce concept toujours foireux de l' "identité nationale", qui ne signifie rien, puisqu'il insiste sur le concept d'identité, subjectif et de l'ordre du ressenti personnel, plutôt que sur celui de nation, autour duquel il serait possible de débattre. Chacun y va donc de sa définition personnelle, alors que la véritable question serait de se demander par exemple quelle est la pertinence de la nation à l'heure de la mondialisation, si cette échelle a encore un sens, et si oui, comment parvenir à lui en conserver ? Toutes les questions se réduisant à une seule, posée par le général de Gaulle : la France doit-elle, oui ou non, en Europe et dans le monde, être la France ?
Le sondage se contente de demander si l'on est fier ou non d'être français. Le débat tourne évidemment en rond, puisque l'on ne définit en rien les originalités culturelles, sociales et géopolitiques françaises. Le débat procède par association d'idées, occupe pas mal de monde dans les médias, occultant tous les problèmes socio-économiques du moment.
Puis, on lit quelque part que le sondage avait été commandé par le ministère de l'immigration. Il y aurait donc une utilité, une logique au sondage : celle de poser toujours les mêmes questions, de faire diversion, de formater la pensée par des répétition d'idées comme de visages, de réduire le politique au niveau de la simple statistique, pour figer, solidifier la vie démocratique, menaçant ainsi sa propre existence.