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Pour le député Christian Paul (PS), Hadopi est "une des premières controverses marquantes de l'entrée dans la civilisation numérique". L'une des premières, mais certainement pas la dernière, de l'avis de nombreux auteurs de cet ouvrage. La bataille ne fait que commencer. De quelle bataille parle t-on ? Et surtout quels en sont les enjeux ? On découvre au fil des pages que c'est la liberté des 28 millions d'internautes français qui est remise en question.

Incompétence et simplisme

Dans sa Préface, Christian Paul donne tout de suite le ton : Hadopi est décrite comme "un frein à l'intelligence, un déni de démocratie, un dispositif impraticable, une offense aux principes et aux libertés numériques, bouée de sauvetage lancée comme une improbable aumône aux artistes". La loi a effectivement de nombreux défauts. Mais ce qui frappe surtout d'emblée, c'est que cette loi était obsolète avant même son entrée en application.

Chronique d'un échec annoncé

Hadopi était vouée à l'échec. Immense usine à gaz qui coûtera près de 7 millions d'euros d'après le gouvernement (7 millions qui deviennent vite 30 voire 100 millions d'après les estimations autres que gouvernementales), le projet de loi n'est pas en adéquation avec la réalité. Pas plus avec la réalité des milieux artistiques qu'avec celle du piratage. Pire, on pouvait être sûr que la loi serait inefficace alors même qu'elle n'était pas encore votée. Philippe Langlois (professeur émérite à l'université Paris X, agrégé de droit) précise ainsi que "les réseaux Peer to Peer utilisent des systèmes de caches, des relais et des systèmes d'encryption qui sécurisent les échangent, et les rendent impénétrables au système de surveillance décidé par le pouvoir politique". Il faut dire que la DADVSI (loi relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l'Information - 2003) avait déjà échouée. Parmi les peines prévues figuraient 300 000 euros d'amende et 3 ans de prison. Hadopi reprend exactement le même arsenal de peines (en y ajoutant la coupure d'accès à Internet), preuve en est que la DADVSI n'a visiblement pas été d'une grande efficacité. Mais les pouvoirs publics n'ont tiré aucune leçon de l'échec de la DADVSI. De fait, cette succession de lois inopérantes confine à l'absurde. Nicolas Dupont-Aignan (DLR) fait remarquer: "Une des caractéristiques communes à tous ces textes, DADVSI, Hadopi 1 et 2, volet numérique de la LOPPSI, c'est l'inefficacité. Un problème est identifié, on vote une loi dont de nombreux députés de tous les bancs soulignent la stupidité, et on passe au texte suivant".

Flagrant délit d'incompétence

La stupidité évoquée par Nicolas Dupont-Aignan s'explique par le manque de connaissance et de compétence des législateurs impliqués. Les questions du droit d'auteur, mais aussi celles relatives à Internet sont épineuses. Or, le projet de loi faisait état dès l'origine d'un certain nombre de zones d'ombres, de flous masquant mal les incompétences des législateurs et des pouvoirs publics. Passons sur les déclarations orales brumeuses de Madame Albanel, restées célèbres. Prenons seulement l'exemple des adresses IP, analysé par Jérémie Zimmermann (Co-fondateur de la Quadrature du Net). Ces adresses sont pointées par le gouvernement comme une preuve soi-disant fiable et irréfutable de la culpabilité de tel ou tel internaute. C'est oublier (ou ne pas savoir) que ces fameuses IP renvoient davantage aujourd'hui à une box qu' à un ordinateur précis, qu'il est par ailleurs possible de changer d'IP ou d'en détourner une. Ainsi, d'après Vinton Cerf, 25 % des ordinateurs connectés à Internet ont leur IP détournées par des tiers. Comment dès lors fonder une infraction supposée sur un simple relevé d'IP ? Difficile ne pas déceler ici "une méconnaissance des réalités de l'environnement numérique", comme l'indique Jérémie Zimmermann.

Un déni de complexité

On constate finalement que ce projet de loi Hadopi échoue à appréhender la complexité de la situation. Tout était simpliste dans la rhétorique du gouvernement. Aucune diversité. Tous les artistes sont mis dans le même panier, les pirates également a fortiori. Certains sont même allés jusqu'à comparer les oeuvres culturelles avec la baguette de pain payée au boulanger. Difficile à partir de là de construire un débat technique et approfondi... Les mêmes poncifs revenaient inlassablement à la tribune comme sur les plateaux de télévision : la gratuité, c'est du vol, et le piratage est responsable du naufrage de l'industrie culturelle. Sauf que la réalité s'avère être beaucoup plus complexe. Il y a bien une crise de l'industrie culturelle. Celle du disque est beaucoup plus concernée que l'industrie cinématographique. Comme le rappèle Laurent Chemla (Écrivain, informaticien, et co-fondateur du registrar français Gandi), les ventes de CD ont chuté en France: 150 000 CD vendus en 2002, seulement 90 000 en 2006. Mais si le téléchargement est responsable, comment expliquer que les ventes de DVD soient en hausse de 11% au premier semestre 2009, que celles des jeux vidéo aient explosées en 2008 (+22%) ? Les DVD et les jeux vidéo ne sont-ils pas tout autant soumis au piratage ? Les facteurs qui permettent d'expliquer les déboires de l'industrie du disque sont en fait multiples et ils ne se limitent pas au piratage, qui endosse mal le rôle du bouc-émissaire. Laurent Chemla émet plusieurs hypothèses: rééquilibrage du budget culturel des ménages au détriment de l'industrie musicale, baisse de l'offre (divisée par 2 en 5 ans!), et prix toujours élevés. Dans tous les cas, la situation est complexe et il est nécessaire d'appréhender cette complexité quand on prétend aider les industries culturelles en souffrance. En se réfugiant dans le simplisme, les pouvoirs publics commettent un déni de réalité flagrant, qui laisse présager d'autres manquements plus graves encore.


2 Responses
  1. vincnet500 Says:

    Bravo Nicolas !

    C'est structuré et très facile à lire !
    Il faut vraiment que je le lise ce livre, il a l'air passionnant.

    Vincent.


  2. vincnet500 Says:

    Pour information, "l'échec annoncé" se vérifie par l'exemple.

    Le navigateur Opera intègre désormais un outil de partage de fichiers et il risque sans doute d'être imité par ses concurrents :
    Opera Unite 10.10

    S'il faut interdire les navigateurs, la mission d'Hadopi risque d'être difficile...

    Vincent.


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