N88
Je n'ai pas beaucoup écrit sur le blog ces dernières semaines. Non pas que l'actualité fasse défaut. La crise qui frappe la zone euro laisse difficilement indifférent. Pourtant, il n'a jamais été aussi difficile de s'informer : que penser du plan massif mis en place par les États de la zone euro et par le FMI, de ces centaines de milliards mis sur la table pour calmer l'appétit des marchés ? Les médias sont contents. La crise est terminée. La dette des États, les déficits commerciaux, la faiblesse évidente de la monnaie unique, tout a été réglé en une nuit. Difficile à croire.

L'Union Européenne selon le traité de Lisbonne ne peut pas survivre. Un constat difficile à admettre pour les plus europhiles mais qui apparaît clairement au premier gros coup de vent. Parce que l'UE ainsi faite se situe dans un entre-deux intenable. Ni totalement fédérale, ni confédérale, elle se trouve à la croisée des chemins. Elle est dotée d'institutions supranationales, qui se trouvent paradoxalement dans l'incapacité d'agir sans le concours des États.
Or, les choix qui s'opèrent ces derniers jours renforcent la supranationalité. La proposition de la commission européenne de pouvoir examiner les budgets des États avant les parlements nationaux abonde en ce sens. Une proposition qui ne fait évidemment pas l'unanimité, la commission donnant l'impression d'hypothéquer les démocraties nationales sous prétexte de réduire les déficits.


On pose souvent depuis le début de cette crise la question de la dette publique. Mais il faut aussi reconnaître que les économies européennes deviennent de plus en plus différentes les unes des autres. Les modèles économiques se séparent, et les tentatives d'harmonisation de la commission ne font qu'aggraver la situation. La monnaie unique ne correspond plus aux besoins de chaque État européen. La diversité des situations économiques nécessitent plus de souplesse institutionnelle. Faire passer l'euro du statut de monnaie unique à celui de monnaie commune aurait l'avantage de permettre cette souplesse, avec la possibilité pour les États qui le souhaitent de dévaluer leur monnaie en accompagnement de leurs politiques de rigueur. Mais ce serait ouvrir la porte à une construction résolument confédérale de l'Europe, abandonnant les orientations ultralibérales actuelles, redonnant du pouvoir aux États-nations et aux peuples. Ni la BCE ni la commission européenne ne le souhaitent.

Tout est fait pour qu'une seule voie s'offre à nous. Les médias boudent les économistes hétérodoxes, alternatifs, l'UMP et le PS acceptent tous deux l'Europe supranationale comme seul choix possible. Être contre cette Europe, c'est être anti-européen. Impossible de la construire autrement pour nos deux partis dominants, qui estiment que toute critique contre la monnaie unique relève du nationalisme... A force de vouloir persévérer dans l'impasse supranationale, de se soumettre aux volontés des marchés financiers sans aucun projet d'avenir, de refuser de réformer en profondeur le logiciel européen, miné par l'oligarchie, c'est toute idée européenne qu'ils vont finir par tuer. Et il n'y aura pas lieu de s'en réjouir.

N88

Quelques sites et certains élus évoquent depuis plusieurs mois l'existence d'un traité qui attire l'attention, car les négociations qui l'entourent sont très opaques. Ce traité, l'ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), négocié dans le plus grand secret et en dehors des institutions internationales officielles, concerne les droits de propriétés intellectuelles. Le
texte s'harmonisant autour de la lutte contre tous les "biens contrefaisant des droits de propriétés intellectuelles", son champ d'application s'avère assez large, avec des enjeux sanitaires, pharmaceutiques non négligeables, mais aussi des répercussions possibles en terme de libertés numériques. Le journaliste Florent Latrive, qui a publié un article relatif à l'ACTA dans le Monde Diplomatique du mois de mars, résume ainsi le projet global de l'ACTA : "L'accord anti-contrefaçon représente le dernier avatar d'une évolution du droit international en faveur d'une protection accrue de la propriété intellectuelle, au détriment des grands équilibres historiques du droit d'auteur et des brevets, dont le principe, rappelons-le, est de favoriser inventeurs et artistes".

Les précédents traités relatifs aux droits de la propriété intellectuelle ne sont effectivement pas de nature à rassurer. Il faut remonter un peu dans le temps et se tourner vers les États-Unis. En 1996, l'administration Clinton avait adopté un Traité de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) relatif au droit d'auteur1. Peu soucieux des préoccupations de la société civile, ce texte actait principalement les volontés des lobbies. Deux ans plus tard, c'est au tour du DMCA (Digital Millennium Copyright Act). Le but est toujours le même : lutter contre les violations du droit d'auteur. Sauf que cette loi s'est avérée particulièrement liberticide (censure de résultats sur Google par exemple), freinant la recherche et renforçant le copyright au détriment du domaine public. Le DMCA deviendra en 2006, dans la législation française, la DADVSI...

L'ACTA fait quant à lui l'objet de négociations entre de nombreux États : l'Australie, le Canada, les États-Unis, l'UE, le Japon ou encore la Suisse. Le problème pour l'ACTA reste le flou qui l'entoure. Le traité est en négociation depuis près de trois ans, et les premiers éléments ne filtrent que maintenant. Le texte avait fait naître un certain nombre de craintes quant aux méthodes employées dans la limitation du droit de la propriété intellectuelle sur Internet. La possibilité d'une généralisation de la riposte graduée, d'un filtrage d'Internet par le biais des Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI) a été envisagée, même si de telles options semblent s'éloigner. Mais Internet n'est pas le seul terrain d'application du traité. Les enjeux sont aussi sanitaires. Les législations relatives aux médicaments varient effectivement en fonction des pays. L'Inde produit notamment de nombreux médicaments génériques à destination des pays africains, médicaments légaux en Inde et en Afrique, mais pas en Europe où les règles sont beaucoup plus strictes et les produits saisies par les douanes. L'ACTA envisagerait de généraliser ces mesures de blocage. Florent Latrive cite dans son article le cas d'un chargement de quarante-neuf kilos de molécules anti-VIH génériques en partance pour le Nigeria, bloquées aux Pays-Bas en février 2009. Avec la remise en cause du transit des médicaments génériques dans le monde, c'est aussi la santé des populations pauvres d'Afrique et d'Amérique du Sud qui entre en ligne de compte.

Quoi qu'il en soit, le traité est loin de faire l'unanimité, notamment à cause de son opacité et du retour possible de la riposte graduée. Le Parlement européen s'est montré récemment très critique.



Autres liens :

Le chapitre deux de l'ACTA révélé
. Où il apparaît notamment que l'une des raisons d'être de l'ACTA serait de renverser l'OMPI, jugée désormais trop souple.

La fiche Wikipédia relative au traité.

"Acta : le texte intégral révélé par la Quadrature du Net" (en anglais)
.


Note :

1 : à propos de l'OMPI, voir La bataille Hadopi, le chapitre "un peu d'histoire", InLibroVeritas, 2009.




N88
Il n'est pas évident de commenter des résultats électoraux. Par manque de recul, mais aussi parce que les analyses sont forcément partiales et partielles. Je m'arrêterai seulement sur deux faits qui m'ont marqué dimanche soir : le taux d'abstention et le recul de l'UMP.

Penser que le taux d'abstention (53,65%) est imputable à la seule crise économique actuelle, comme voudrait nous le faire croire le secrétaire général de l'UMP Xavier Bertrand, est un peu facile. Pour Frédéric Lefebvre, ce taux prouve l'absence de vote sanction. L'éventualité que de nombreux français soient restés chez eux face à la médiocrité du paysage politique actuel, écœurés par la superficialité de la campagne électorale, ne l'a pas effleuré. Triste campagne effectivement que celle qui aura multiplié les coup bas sans songer à l'intérêt des habitantes et habitants de régions. Car où est l'intérêt du peuple, où est l'intérêt de la France lorsque l'on déterre le casier judiciaire d'Ali Soumaré ? Où est l'intérêt de la France lorsque l'on reproche à Jean-Paul Huchon de ne pas connaître le prix d'un ticket de métro ? Si les problèmes que rencontrent au quotidien les Français ne sont pas traités dans leur profondeur et leur complexité, si tout devient communication et médiocrité, si la campagne se fait dans les caniveaux et les bacs à sable, comment s'étonner de l'abstention ?

Pourtant la campagne s'est faite aussi sur le terrain, et certains programmes étaient sans doute de qualité. Mais l'écho médiatique de ces campagnes de terrain, de ces projets, d'où qu'ils viennent, a été presque inexistant. On donne un temps de parole démesuré aux deux grands partis, qui ne nous apprennent souvent plus rien. Les débats sont rares, les sondages partout, la France dans sa diversité politique nulle part. Les radios, les chaînes régionales (France 3) ont fait des efforts non négligeables pour passionner, pour donner la parole à tous. Mais le climat global de superficialité l'emporte, car c'est toujours le bipartisme qui donne le ton, qui impose le rythme et les thèmes. C'est ce bipartisme qui est majoritairement responsable de l'abstention. Les Français ne se reconnaissent souvent plus dans ces grands appareils de moins en moins crédibles. On pourrait ajouter que le problème devient civique face à la complexité de l'échelon régional : qui connaît aujourd'hui les réalisations précises de son président de région sortant ? Les compétences du conseil régional sont méconnues.


L'UMP découvre quant à elle, déconcertée, l'échec de sa stratégie du parti unique. Rassemblée dès le premier tour, la droite parlementaire n'a plus aucun réservoir de voix. Pour elle, le second tour ne sera guère différent du premier. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment la droite parlementaire peut-elle réaliser, unie, un score inférieur à un PS concurrencé pourtant par Europe Écologie et par le Front de Gauche ? A force de vouloir tout contrôler, tout assécher, à force de vouloir tuer toute diversité politique à droite, l'UMP fait fuir les électeurs. Il est tout de même incroyable que les électeurs de droite républicaine n'aient pas eu d'autres choix que l'UMP dans de nombreuses régions. Force est de constater qu'il y a toujours eu plusieurs tendances à droite ces dernières décennies. Les anciennes droites orléanistes et bonapartistes n'ont pas disparu. Aujourd'hui subsistent toujours une droite libérale-affairiste, volontiers fédéraliste sur le plan européen, et une droite gaulliste républicaine, qui ne demande qu'à renaître (la percée de Nicolas Dupont-Aignan en île de France, devant le Modem et le NPA, le montre assez). Mais l'UMP a préféré brider les minorités ou les exclure, plutôt que de laisser émerger des pôles originaux susceptibles de se rassembler, par défaut, au second tour. Le résultat est criant : un asséchement intellectuel qui fait peur à voir.

Des voix s'élèvent à droite pour appeler à un changement de stratégie. Un article du Monde évoque les voix dissonantes d'Alain Juppé, de Christian Vanneste ou encore de Lionel Luca. La politique de l'ouverture à gauche est souvent incriminée. Mais le vrai problème ne réside-t-il pas plutôt dans cette superficialité permanente, dans cette absence d'idée et de projet durable, dans les incohérences et les amateurismes, dans ce discours formaté enfin, au point que l'on avait l'étrange impression dimanche soir que tous les élus de la majorité avaient appris le même texte, vide de sens ? Pour mobiliser ses troupes, le président martèle, et fait marteler : ce ne sont que des élections régionales, aux enjeux régionaux. Il faudra alors nous expliquer pourquoi la moitié du gouvernement est en campagne.



Les résultats par régions et par départements

Le billet de Jean François Kahn

N88

Le recours au sondage en politique n'est pas nouveau. Mais il semble depuis quelques années que le phénomène s'amplifie au point de faire du sondage un acteur politique à part entière. Pas un seul jour sans son petit sondage, sur les élections présidentielles de 2012, sur le prétendu moral des ménages et j'en passe... Ces chiffres assénés jusqu'à la nausée finissent par poser problème lorsqu'ils se mettent à organiser la vie politique, en remplaçant le débat, en devançant l'échéance électorale, en rendant la démocratie prévisible.

Les méthodes scientifiques qui fondent les sondages importent peu. Ce n'est pas non plus de la crédibilité de certains instituts, devenus incontournables, dont je veux parler. Seulement de la place absurde que le sondage a pris dans notre vie politique. On apprend hier que Dominique Strauss-Kahn l'emporterait face à Nicolas Sarkozy au second tour des présidentielles de 2012 (52 % contre 48 pour le président sortant - sondage CSA pour l'hebdomadaire Marianne ).
Sauf que nous sommes en 2010, que ni DSK, ni Nicolas Sarkozy ne se sont portés officiellement candidats (même si on ne se fait plus guère de doutes sur les ambitions des deux intéressés) et qu'à ce compte là, une bonne vingtaine de sondages sont possibles en vue du second tour, compte tenu de la brochette de présidentiables du moment...
Il est bien évident que le sondage fait des choix, que certaines personnalités politiques sont choisies au détriment des autres, et que les tendances à la mode jouent beaucoup dans le casting retenu, le sondage étant un produit qui doit se vendre et faire vendre.
Les instituts diront que de nombreux candidats potentiels étaient présents dans la liste, que ce sont les personnes interrogées qui ont fait leur choix, il n'en reste pas moins que les médias (surtout audiovisuels) ne s'encombrent pas l'esprit en diffusant la totalité du résultat du sondage et sa cinquantaine de chiffres. L'info retenue doit être simple : DSK est tout à fait crédible pour 2012. Et les autres candidats, et les petits candidats, ceux qui n'ont pas même été retenus comme candidats : on s'en fout...

Autre exemple. Le Point nous propose ce matin sur son site internet : "82 % des Français estiment que l'identité nationale existe". Sans blague ! Voilà un sondage qui nous scie les jambes. TNS Sofres a eu la bonne idée de demander aux Français si, pour eux, la France existe. Avec ce concept toujours foireux de l' "identité nationale", qui ne signifie rien, puisqu'il insiste sur le concept d'identité, subjectif et de l'ordre du ressenti personnel, plutôt que sur celui de nation, autour duquel il serait possible de débattre. Chacun y va donc de sa définition personnelle, alors que la véritable question serait de se demander par exemple quelle est la pertinence de la nation à l'heure de la mondialisation, si cette échelle a encore un sens, et si oui, comment parvenir à lui en conserver ? Toutes les questions se réduisant à une seule, posée par le général de Gaulle : la France doit-elle, oui ou non, en Europe et dans le monde, être la France ?
Le sondage se contente de demander si l'on est fier ou non d'être français. Le débat tourne évidemment en rond, puisque l'on ne définit en rien les originalités culturelles, sociales et géopolitiques françaises. Le débat procède par association d'idées, occupe pas mal de monde dans les médias, occultant tous les problèmes socio-économiques du moment.
Puis, on lit quelque part que le sondage avait été commandé par le ministère de l'immigration. Il y aurait donc une utilité, une logique au sondage : celle de poser toujours les mêmes questions, de faire diversion, de formater la pensée par des répétition d'idées comme de visages, de réduire le politique au niveau de la simple statistique, pour figer, solidifier la vie démocratique, menaçant ainsi sa propre existence.

N88

Neelie Kroes, actuelle commissaire chargée du numérique et ancienne commissaire à la concurrence.

La possible délocalisation de la production de la Renault Clio 4 en Turquie fait des vagues. Les délocalisations ne sont pourtant pas nouvelles, loin s'en faut, mais ce dossier semble particulièrement médiatisé. Sans doute parce qu'il s'agit d'un symbole, que l'État est actionnaire et que cette industrie a été largement bénéficiaire du plan de relance du gouvernement. Difficile pour le gouvernement de justifier une telle délocalisation alors que Renault a bénéficié d'aides étatiques (6,5 milliards d'euros pour Renault et PSA qui s'étaient engagés en échange à ne fermer aucune usine en France en février dernier).

L'attitude du gouvernement (et notamment de Christian Estrosi) visant à faire preuve de fermeté pour empêcher cette délocalisation semble donc être légitime. Mais c'était oublier la commission européenne et sa "concurrence libre et non-faussée". Neelie Kroes, commissaire à la concurrence en 2009, a fait savoir qu'elle s'opposait à cette initiative de la France. Son argumentaire est instructif. Elle demande des explications à la France car, en février dernier, notre pays s'était engagé à ce que "les prêts aux constructeurs automobiles nationaux n'affectent pas la liberté des constructeurs de développer leur activité économique sur le marché intérieur européen". Aucune condition ne devait être posée quant à la localisation des usines des constructeurs automobiles. Sauf qu'il s'agit ici d'une délocalisation en Turquie, et que les clauses relatives au marché intérieur ne sont pas pertinentes.

La position de la commissaire européenne est donc des plus discutables. Selon elle, il serait urgent d'empêcher une initiative française qu'elle qualifie de "nationalisme économique". Il est pourtant question d'une délocalisation hors de l'UE, et non d'une guerre économique entre deux États membres. Mme Kroes (je recommande sa biographie sur wikipédia, très instructive...) confond nationalisme et patriotisme économique (en l'occurrence européen). D'ailleurs, au nom de quoi la commission pourrait-elle empêcher l'État français de négocier avec une entreprise dont il est actionnaire? Le droit communautaire ne restreint et encadre les aides publiques que dans le cadre du marché intérieur. L'interventionnisme de l'État est donc compatible (pour une fois) avec le traité de Lisbonne (article 101 et 102).

Le cœur du problème reste toujours l'idée que l'on se fait de la concurrence. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe même de concurrence, mais de rappeler que toute concurrence doit se faire sur des bases égalitaires. Or, les inégalités entre les législations sociales et environnementales des différents États n'ont jamais été aussi fortes. L'État français se refuse à baisser les charges et la commission européenne continue à nier obstinément ces réalités du dumping social, en vertu d'une concurrence qu'elle qualifie de "non-faussée", alors qu'elle ne l'est plus depuis longtemps. Elle ne comprend pas que si les États sont conduits parfois à intervenir, c'est justement pour rétablir un semblant de concurrence égalitaire. De fait, la commission européenne ne se contente pas seulement d'accélérer le démontage des industries d'Europe de l'ouest, elle réussit (souvent avec l'accord des États européens malheureusement) à fossoyer la belle idée européenne originelle et à la rendre impopulaire.
N88


Le mécénat global


L'alternative du mécénat global a été pensée par Francis Muguet. Décédé le 14 octobre dernier, le livre lui est dédié. Mathieu Pasquini (fondateur et gérant d'InLibroVeritas) et Richard M. Stallman (président bénévole de la Free Software Foundation) ont voulu, à travers cet ouvrage, retranscrire la pensée de Francis Muguet. Le mécénat global envisagé propose de mettre l'internaute au cœur du processus de rémunération des créateurs en privilégiant le critère de l'appréciation plutôt que celui de l'utilisation, et en se focalisant à nouveau sur l'enjeu de la production et de la diversité des œuvres culturelles.

L'internaute-mécène

Les internautes versent dans le cadre du mécénat global une somme contractuelle fixe collectée par les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), qui est ensuite versée aux Sociétés de Perception et de Répartition des Droits d'auteur (SPRD) ou à une Société de d'Acceptation et de Répartition des Dons (SARD) pour ceux qui ne sont pas membres d'une SPRD. Ces sociétés reversent ensuite les dites sommes aux auteurs et artistes. Ce système vise donc à lier d'une part les internautes avec leurs fournisseurs d'accès à Internet, et d'autre part les auteurs avec leur société de gestion collective, ainsi qu'avec les internautes-mécènes. L'originalité du mécénat global, et c'est là sa principale différence avec la licence globale, est de consulter les internautes sur le montant de la somme versée ainsi que sur sa répartition. Qu'il s'agisse de la musique, des vidéos ou même de la presse en ligne (qui trouverait ainsi une source de financement bienvenue sans intervention étatique sélective), l'internaute est amené à indiquer dans un formulaire disponible sur son compte chez son FAI les références des œuvres qu'il désire rémunérer.
Le projet vise ainsi à renoncer à la surveillance du réseau ainsi qu'au recours à la gestion numérique des droits (DRM). Une nouvelle économie numérique pourrait émerger, mais cette fois dans une perspective de dé-commercialisation de la culture.

Déclaration de principes

Le schéma du mécénat global est souple, expérimental même. Ce projet de mécénat global, conçu pour être enrichi et amélioré, peut se résumer par la déclaration de principes suivante. Ces principes sont tirés de l'article de Richard M. Stallman, " Le Mécénat Global - 2" , pp. 288 à 290. Partage autorisé (Licence Art Libre et Creative Commons BY-SA) - notes complémentaires sur le schéma de principes ici.

" En termes généraux, le schéma de principe du mécénat global est caractérisé en ce que :

1) Chaque internaute est libre de diffuser à titre non commercial des copies conformes d'œuvres déjà publiées d'un auteur ou artiste membre d'une société de gestion collective ou Société de Perception et de Répartition des Droits d'auteur (SPRD) ou d'une Société d'Acceptation et de Répartition des Dons (SARD).

2) Chaque internaute a le choix entre :
a) ne pas souscrire au Mécénat Global, et, dans le cas des pays ou fournisseurs d'accès qui imposent une surveillance et/ou un filtrage afin d'empêcher le partage des œuvres, payer une contribution fixe pour assumer le coût de la surveillance et/ou le filtrage, qu'il serait inéquitable d'imposer aux souscripteurs du Mécénat Global.
b) payer une contribution fixe périodique à son fournisseur d'accès Internet, pour soutenir financièrement ces auteurs et artistes.

3) Chaque internaute peut attribuer librement des fractions de sa contribution fixe à des œuvres qu'il/elle choisit, dans des limites fixées de pourcentage.

4) Les contributions non explicitement attribuées sont réparties selon une fonction non-linéaire visant à diminuer les écarts entre les montants financiers versés finalement aux artistes et auteurs, de façon à favoriser la diversité et l'éclosion de nouveaux talents.

5) Des Sociétés d'Acceptation et de Répartition des Dons (SARD) sont créées afin de permettre le financement des œuvres numériques, par les internautes, selon leurs appréciations. Le schéma juridique et opératoire du Mécénat Global ne repose pas sur une exception aux droits exclusifs des auteurs, mais plutôt sur des dispositions d'ordre public dans les différentes relations contractuelles qui lient respectivement :
a) les internautes avec leurs Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI),
b) les FAI et les sociétés de gestion collective ou sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur (SPRD) et les Sociétés d'Acceptation et de Répartition des Dons qui reçoivent les fonds envoyés par les FAI.
c) les auteurs et artistes avec leurs SPRD ou SARD.

6) Chaque FAI calcule automatiquement les montants des contributions attribuées ; effectue le transfert des montants attribués à chaque œuvre à ses auteurs et artistes selon des règles établies; puis optionnellement les FAI répartit entre eux les montants destinés au même auteur ou artiste, de manière à maximiser pour lui le montant qui sera calculé dans l'étape suivante (cf. n°7).

7) Chaque FAI calcule automatiquement la fraction des contributions non-attribuées destinées à chaque auteur ou artiste, d'abord calculant le facteur pour chaque personne selon une fonction sublinéaire de son montant attribué, et puis divisant le total des fonds disponibles en proportion au facteur de chacun. La fonction à utiliser sera règlementée. Un exemple d'une fonction appropriée pour ce but serait la racine cubique.

8) Chaque FAI publie les montants des contributions attribuées à chaque œuvre, et à chaque auteur ou artiste, et le détail de la répartition entre les FAI, et les montants de contributions non-attribuées destinées à chacun, et transmet les montants et l'argent aux SPRD et aux SARD qui le distribuent aux auteurs et artistes avec des frais de gestion dont la limite est fixée par la loi.
Les SPRD et SARD seront obligées de mettre en œuvre le mécénat global, par contre les auteurs et artistes qui ne sont pas membres d'une SPRD ou d'une SARD ne seront pas obligés de participer au mécénat global."


Épilogue

L'avènement d'Internet a bouleversé les schémas classiques de la création artistique et culturelle. Personne ne le nie aujourd'hui en théorie. Et pourtant le tort des majors est bien de considérer que l'ère numérique ne change rien aux logiques du copyright et des monopoles, que les industries culturelles pourront continuer à exploiter le même schéma d'appropriation de la culture, quitte à corrompre au passage les pouvoirs publics. Les industries culturelles ont tout intérêt à favoriser l'émergence du partage libre et démocratique du savoir et de la culture, aucunement incompatible avec la nécessaire rémunération des auteurs. Le cœur du problème reste la volonté des pouvoirs publics. Face à la catastrophe législative et anti-républicaine que constitue Hadopi, on peut sérieusement douter de l'avenir du concept d'intérêt général sensé guidé ces pouvoirs publics. Mais la multiplication des engagements en faveur de la culture libre sur le net d'une part, et l'oreille attentive de certains députés compétents de tout bord de l'autre, doivent nous faire espérer une issue favorable à la bataille Hadopi. A condition de rendre le débat démocratique à nouveau possible.



PS : Vincnet 500 et moi-même souhaitons aux lecteurs et lectrices de ce blog une bonne année 2010 !