N88

Neelie Kroes, actuelle commissaire chargée du numérique et ancienne commissaire à la concurrence.

La possible délocalisation de la production de la Renault Clio 4 en Turquie fait des vagues. Les délocalisations ne sont pourtant pas nouvelles, loin s'en faut, mais ce dossier semble particulièrement médiatisé. Sans doute parce qu'il s'agit d'un symbole, que l'État est actionnaire et que cette industrie a été largement bénéficiaire du plan de relance du gouvernement. Difficile pour le gouvernement de justifier une telle délocalisation alors que Renault a bénéficié d'aides étatiques (6,5 milliards d'euros pour Renault et PSA qui s'étaient engagés en échange à ne fermer aucune usine en France en février dernier).

L'attitude du gouvernement (et notamment de Christian Estrosi) visant à faire preuve de fermeté pour empêcher cette délocalisation semble donc être légitime. Mais c'était oublier la commission européenne et sa "concurrence libre et non-faussée". Neelie Kroes, commissaire à la concurrence en 2009, a fait savoir qu'elle s'opposait à cette initiative de la France. Son argumentaire est instructif. Elle demande des explications à la France car, en février dernier, notre pays s'était engagé à ce que "les prêts aux constructeurs automobiles nationaux n'affectent pas la liberté des constructeurs de développer leur activité économique sur le marché intérieur européen". Aucune condition ne devait être posée quant à la localisation des usines des constructeurs automobiles. Sauf qu'il s'agit ici d'une délocalisation en Turquie, et que les clauses relatives au marché intérieur ne sont pas pertinentes.

La position de la commissaire européenne est donc des plus discutables. Selon elle, il serait urgent d'empêcher une initiative française qu'elle qualifie de "nationalisme économique". Il est pourtant question d'une délocalisation hors de l'UE, et non d'une guerre économique entre deux États membres. Mme Kroes (je recommande sa biographie sur wikipédia, très instructive...) confond nationalisme et patriotisme économique (en l'occurrence européen). D'ailleurs, au nom de quoi la commission pourrait-elle empêcher l'État français de négocier avec une entreprise dont il est actionnaire? Le droit communautaire ne restreint et encadre les aides publiques que dans le cadre du marché intérieur. L'interventionnisme de l'État est donc compatible (pour une fois) avec le traité de Lisbonne (article 101 et 102).

Le cœur du problème reste toujours l'idée que l'on se fait de la concurrence. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe même de concurrence, mais de rappeler que toute concurrence doit se faire sur des bases égalitaires. Or, les inégalités entre les législations sociales et environnementales des différents États n'ont jamais été aussi fortes. L'État français se refuse à baisser les charges et la commission européenne continue à nier obstinément ces réalités du dumping social, en vertu d'une concurrence qu'elle qualifie de "non-faussée", alors qu'elle ne l'est plus depuis longtemps. Elle ne comprend pas que si les États sont conduits parfois à intervenir, c'est justement pour rétablir un semblant de concurrence égalitaire. De fait, la commission européenne ne se contente pas seulement d'accélérer le démontage des industries d'Europe de l'ouest, elle réussit (souvent avec l'accord des États européens malheureusement) à fossoyer la belle idée européenne originelle et à la rendre impopulaire.
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