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Hadopi et la République

Benoit Sibaud, président de l'April, qualifie la loi Hadopi d'"offensive juridico-politique". Cette offensive a raté sa cible, nous l'avons vu. Mais elle a laissé des traces, notamment d'un point de vue institutionnel. La démocratie comme la République ont été malmenées par une loi destinée à protéger l'intérêt de quelques uns.


Tout devient possible

Ce qui pouvait apparaître comme invraisemblable compte tenu de l'existence d'institutions républicaines est devenu possible. Martine Billard (PG) énumère les différents abus et les irrégularités, de la DADVSI à Hadopi 2 : " On aura pour ainsi dire tout vu : des lobbies faisant des démonstrations commerciales aux abords de l'Hémicycle sur invitation du ministre (DADVSI), un site privé "J'aime les artistes" promu par le ministère et pratiquant du marketing intrusif sur les boîtes de courriers électroniques personnelles des députés (Hadopi), des amendements et articles votés en séance à l'Assemblée contre l'avis du Gouvernement réexaminés trois mois après (DADVSI), des amendements adoptés contrairement à l'avis du Gouvernement disparaissant lors de la commission mixte paritaire (Hadopi-1, première lecture), un texte de loi rejeté entièrement le 9 avril 2009 après le passage en commission mixte paritaire réinscrit à l'ordre du jour deux semaines après (Hadopi 1, deuxième lecture), et, enfin, une censure constitutionnelle le 10 juin 2009 contournée par un nouveau projet de loi déposé le mois suivant (Hadopi 2)". L'énumération de la députée montre bien l'ampleur des dégâts. Philippe-Charles Nestel (membre de l'April et de l'AXUL) nous rappèle également que le 30 octobre 2008, 200 amendements ont été examinés en une seule journée au Sénat. L'Assemblée Nationale a fait beaucoup mieux, avec 800 amendements en 15 minutes...

Un état d'esprit anti-démocratique

Le manque de respect envers les institutions établies et le mépris du peuple vont de pair. Jérôme Bourreau-Guggenheim livre à cet égard une réflexion intéressante sur les conséquences d'Hadopi sur la vie démocratique. Il est bien placé pour évoquer ce qu'il nomme "une désagrégation de notre démocratie", lui qui a été licencié pour avoir envoyé un courriel privé à sa députée. Pour Jérôme Bourreau-Guggenheim, c'est la dimension réflexive de notre démocratie qui est remise en cause. Tout devient marketing et communication. Cette invasion du champ politique par la communication est particulièrement visible avec le bataille Hadopi. Désinformation d'un côté, et technocratie de l'autre, verrouillent progressivement la vie démocratique. Le débat d'experts n'en est d'ailleurs pas vraiment un. Les experts en question sont loin d'être indépendants et la débat faussé d'avance: "Recrutés par nos gouvernants, ils [les experts] sont chargés de traduire une réalité en volonté politique dans un brouhaha technique volontairement inaudible pour une majorité de citoyens ne disposant pas des connaissances nécessaires pour en comprendre pleinement les tenants et les aboutissants." (Jérôme Bourreau-Guggenheim dans son article "condamné par une loi qui n'existe pas"). L'un des buts inavoués d'Hadopi, comme l'indique Nicolas Dupont-Aignan (DLR), est de faire disparaître le citoyen au profit du consommateur.

Conflits d'intérêt

Mais l'un des délits les plus flagrants de l'Hadopi reste ce mélange des genres dont nous avions déjà eu l'occasion de parler, cette confusion entre l'intérêt privé et l'intérêt général, entre l'économique et le politique. Jérémie Nestel (coprésident de l'association Libre Accès) présente le projet Hadopi comme pensé sur mesure pour les grandes industries culturelles et leurs actionnaires. La loi apparaît alors comme une association d'intérêts, à peine masquée, entre les majors et les Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI) sur le dos des internautes et des artistes. Si tel n'était pas le cas, comment expliquer alors que la mission chargée de plancher sur Hadopi 3 soit constituée du PDG du label Naïve Patrick Zelnick ainsi que de 7 dirigeants de syndicats d'éditeurs d'œuvres ? Pour résumer ce conflit d'intérêt, Martine Billard affirme qu'Hadopi n'est que le reflet du "pouvoir décomplexé des lobbies des industries de la culture et du divertissement qui veulent conserver leur position dominante coûte que coûte auprès de la représentation nationale, quitte à que soient bafouées les règles élémentaires de la démocratie et du débat institutionnel." Denis Olivennes incarne bien ce mélange des genres, comme le fait remarquer Guillaume Champeau (fondateur de l'excellent Numerama) : "Peu s'offusquent alors de voir le président de la FNAC, premier vendeur de disques en France, prendre la tête d'une mission gouvernementale destinée en substance à contraindre les clients de son enseigne à continuer à consommer la musique de ses fournisseurs. (...) On imagine le remous si l'on avait demandé à Michel Edouard-Leclerc de présider une commission sur le prix du lait dans la grande distribution..." Au final, l'attitude des majors est doublement blâmable : parce qu'ils ont détourné, avec la complicité des gouvernements en place, la loi publique à des fins privées, mais aussi parce qu'ils refusent d'évoluer. C'est ce qu'explique clairement Jacques Boutault (Verts) : "Les majors, producteurs de disques ou de films se sont gavés de profits durant des années. Ils ont engrangé des rémunérations insolentes et n'ont distribué que des miettes à la création. Aujourd'hui, leur modèle est à bout de souffle. Ces dinosaures n'ont pas vu venir le changement d'ère. A force de ne produire que des artistes choisis pour être rentables, de n'éditer qu'une infime minorité parmi les milliers d'auteurs, les majors ont, à la fois, tué la diversité et accéléré leur propre déclin. Incapables d'inventer un autre business modèle, ils lorgnent sur un nouvel espace à marchandiser".

A suivre...
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Pour le député Christian Paul (PS), Hadopi est "une des premières controverses marquantes de l'entrée dans la civilisation numérique". L'une des premières, mais certainement pas la dernière, de l'avis de nombreux auteurs de cet ouvrage. La bataille ne fait que commencer. De quelle bataille parle t-on ? Et surtout quels en sont les enjeux ? On découvre au fil des pages que c'est la liberté des 28 millions d'internautes français qui est remise en question.

Incompétence et simplisme

Dans sa Préface, Christian Paul donne tout de suite le ton : Hadopi est décrite comme "un frein à l'intelligence, un déni de démocratie, un dispositif impraticable, une offense aux principes et aux libertés numériques, bouée de sauvetage lancée comme une improbable aumône aux artistes". La loi a effectivement de nombreux défauts. Mais ce qui frappe surtout d'emblée, c'est que cette loi était obsolète avant même son entrée en application.

Chronique d'un échec annoncé

Hadopi était vouée à l'échec. Immense usine à gaz qui coûtera près de 7 millions d'euros d'après le gouvernement (7 millions qui deviennent vite 30 voire 100 millions d'après les estimations autres que gouvernementales), le projet de loi n'est pas en adéquation avec la réalité. Pas plus avec la réalité des milieux artistiques qu'avec celle du piratage. Pire, on pouvait être sûr que la loi serait inefficace alors même qu'elle n'était pas encore votée. Philippe Langlois (professeur émérite à l'université Paris X, agrégé de droit) précise ainsi que "les réseaux Peer to Peer utilisent des systèmes de caches, des relais et des systèmes d'encryption qui sécurisent les échangent, et les rendent impénétrables au système de surveillance décidé par le pouvoir politique". Il faut dire que la DADVSI (loi relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l'Information - 2003) avait déjà échouée. Parmi les peines prévues figuraient 300 000 euros d'amende et 3 ans de prison. Hadopi reprend exactement le même arsenal de peines (en y ajoutant la coupure d'accès à Internet), preuve en est que la DADVSI n'a visiblement pas été d'une grande efficacité. Mais les pouvoirs publics n'ont tiré aucune leçon de l'échec de la DADVSI. De fait, cette succession de lois inopérantes confine à l'absurde. Nicolas Dupont-Aignan (DLR) fait remarquer: "Une des caractéristiques communes à tous ces textes, DADVSI, Hadopi 1 et 2, volet numérique de la LOPPSI, c'est l'inefficacité. Un problème est identifié, on vote une loi dont de nombreux députés de tous les bancs soulignent la stupidité, et on passe au texte suivant".

Flagrant délit d'incompétence

La stupidité évoquée par Nicolas Dupont-Aignan s'explique par le manque de connaissance et de compétence des législateurs impliqués. Les questions du droit d'auteur, mais aussi celles relatives à Internet sont épineuses. Or, le projet de loi faisait état dès l'origine d'un certain nombre de zones d'ombres, de flous masquant mal les incompétences des législateurs et des pouvoirs publics. Passons sur les déclarations orales brumeuses de Madame Albanel, restées célèbres. Prenons seulement l'exemple des adresses IP, analysé par Jérémie Zimmermann (Co-fondateur de la Quadrature du Net). Ces adresses sont pointées par le gouvernement comme une preuve soi-disant fiable et irréfutable de la culpabilité de tel ou tel internaute. C'est oublier (ou ne pas savoir) que ces fameuses IP renvoient davantage aujourd'hui à une box qu' à un ordinateur précis, qu'il est par ailleurs possible de changer d'IP ou d'en détourner une. Ainsi, d'après Vinton Cerf, 25 % des ordinateurs connectés à Internet ont leur IP détournées par des tiers. Comment dès lors fonder une infraction supposée sur un simple relevé d'IP ? Difficile ne pas déceler ici "une méconnaissance des réalités de l'environnement numérique", comme l'indique Jérémie Zimmermann.

Un déni de complexité

On constate finalement que ce projet de loi Hadopi échoue à appréhender la complexité de la situation. Tout était simpliste dans la rhétorique du gouvernement. Aucune diversité. Tous les artistes sont mis dans le même panier, les pirates également a fortiori. Certains sont même allés jusqu'à comparer les oeuvres culturelles avec la baguette de pain payée au boulanger. Difficile à partir de là de construire un débat technique et approfondi... Les mêmes poncifs revenaient inlassablement à la tribune comme sur les plateaux de télévision : la gratuité, c'est du vol, et le piratage est responsable du naufrage de l'industrie culturelle. Sauf que la réalité s'avère être beaucoup plus complexe. Il y a bien une crise de l'industrie culturelle. Celle du disque est beaucoup plus concernée que l'industrie cinématographique. Comme le rappèle Laurent Chemla (Écrivain, informaticien, et co-fondateur du registrar français Gandi), les ventes de CD ont chuté en France: 150 000 CD vendus en 2002, seulement 90 000 en 2006. Mais si le téléchargement est responsable, comment expliquer que les ventes de DVD soient en hausse de 11% au premier semestre 2009, que celles des jeux vidéo aient explosées en 2008 (+22%) ? Les DVD et les jeux vidéo ne sont-ils pas tout autant soumis au piratage ? Les facteurs qui permettent d'expliquer les déboires de l'industrie du disque sont en fait multiples et ils ne se limitent pas au piratage, qui endosse mal le rôle du bouc-émissaire. Laurent Chemla émet plusieurs hypothèses: rééquilibrage du budget culturel des ménages au détriment de l'industrie musicale, baisse de l'offre (divisée par 2 en 5 ans!), et prix toujours élevés. Dans tous les cas, la situation est complexe et il est nécessaire d'appréhender cette complexité quand on prétend aider les industries culturelles en souffrance. En se réfugiant dans le simplisme, les pouvoirs publics commettent un déni de réalité flagrant, qui laisse présager d'autres manquements plus graves encore.