N88
Il n'est pas évident de commenter des résultats électoraux. Par manque de recul, mais aussi parce que les analyses sont forcément partiales et partielles. Je m'arrêterai seulement sur deux faits qui m'ont marqué dimanche soir : le taux d'abstention et le recul de l'UMP.

Penser que le taux d'abstention (53,65%) est imputable à la seule crise économique actuelle, comme voudrait nous le faire croire le secrétaire général de l'UMP Xavier Bertrand, est un peu facile. Pour Frédéric Lefebvre, ce taux prouve l'absence de vote sanction. L'éventualité que de nombreux français soient restés chez eux face à la médiocrité du paysage politique actuel, écœurés par la superficialité de la campagne électorale, ne l'a pas effleuré. Triste campagne effectivement que celle qui aura multiplié les coup bas sans songer à l'intérêt des habitantes et habitants de régions. Car où est l'intérêt du peuple, où est l'intérêt de la France lorsque l'on déterre le casier judiciaire d'Ali Soumaré ? Où est l'intérêt de la France lorsque l'on reproche à Jean-Paul Huchon de ne pas connaître le prix d'un ticket de métro ? Si les problèmes que rencontrent au quotidien les Français ne sont pas traités dans leur profondeur et leur complexité, si tout devient communication et médiocrité, si la campagne se fait dans les caniveaux et les bacs à sable, comment s'étonner de l'abstention ?

Pourtant la campagne s'est faite aussi sur le terrain, et certains programmes étaient sans doute de qualité. Mais l'écho médiatique de ces campagnes de terrain, de ces projets, d'où qu'ils viennent, a été presque inexistant. On donne un temps de parole démesuré aux deux grands partis, qui ne nous apprennent souvent plus rien. Les débats sont rares, les sondages partout, la France dans sa diversité politique nulle part. Les radios, les chaînes régionales (France 3) ont fait des efforts non négligeables pour passionner, pour donner la parole à tous. Mais le climat global de superficialité l'emporte, car c'est toujours le bipartisme qui donne le ton, qui impose le rythme et les thèmes. C'est ce bipartisme qui est majoritairement responsable de l'abstention. Les Français ne se reconnaissent souvent plus dans ces grands appareils de moins en moins crédibles. On pourrait ajouter que le problème devient civique face à la complexité de l'échelon régional : qui connaît aujourd'hui les réalisations précises de son président de région sortant ? Les compétences du conseil régional sont méconnues.


L'UMP découvre quant à elle, déconcertée, l'échec de sa stratégie du parti unique. Rassemblée dès le premier tour, la droite parlementaire n'a plus aucun réservoir de voix. Pour elle, le second tour ne sera guère différent du premier. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment la droite parlementaire peut-elle réaliser, unie, un score inférieur à un PS concurrencé pourtant par Europe Écologie et par le Front de Gauche ? A force de vouloir tout contrôler, tout assécher, à force de vouloir tuer toute diversité politique à droite, l'UMP fait fuir les électeurs. Il est tout de même incroyable que les électeurs de droite républicaine n'aient pas eu d'autres choix que l'UMP dans de nombreuses régions. Force est de constater qu'il y a toujours eu plusieurs tendances à droite ces dernières décennies. Les anciennes droites orléanistes et bonapartistes n'ont pas disparu. Aujourd'hui subsistent toujours une droite libérale-affairiste, volontiers fédéraliste sur le plan européen, et une droite gaulliste républicaine, qui ne demande qu'à renaître (la percée de Nicolas Dupont-Aignan en île de France, devant le Modem et le NPA, le montre assez). Mais l'UMP a préféré brider les minorités ou les exclure, plutôt que de laisser émerger des pôles originaux susceptibles de se rassembler, par défaut, au second tour. Le résultat est criant : un asséchement intellectuel qui fait peur à voir.

Des voix s'élèvent à droite pour appeler à un changement de stratégie. Un article du Monde évoque les voix dissonantes d'Alain Juppé, de Christian Vanneste ou encore de Lionel Luca. La politique de l'ouverture à gauche est souvent incriminée. Mais le vrai problème ne réside-t-il pas plutôt dans cette superficialité permanente, dans cette absence d'idée et de projet durable, dans les incohérences et les amateurismes, dans ce discours formaté enfin, au point que l'on avait l'étrange impression dimanche soir que tous les élus de la majorité avaient appris le même texte, vide de sens ? Pour mobiliser ses troupes, le président martèle, et fait marteler : ce ne sont que des élections régionales, aux enjeux régionaux. Il faudra alors nous expliquer pourquoi la moitié du gouvernement est en campagne.



Les résultats par régions et par départements

Le billet de Jean François Kahn

3 Responses
  1. Anonyme Says:
    Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

  2. Florence Says:

    Merci pour cet article, dont je retiens en particulier "L'éventualité que de nombreux français soient restés chez eux face à la médiocrité du paysage politique actuel, écœurés par la superficialité de la campagne électorale", on ne saurait mieux traduire ma pensée.

    Mais quand même, je vais faire un effort dimanche prochain... (quitte à voter blanc ?) surtout pour Vincent qui ne veut pas que l'on "manque de respect aux générations qui se sont battues pour le droit de vote". Voilà de quoi me donner mauvaise conscience !

    Vive la nouvelle république :)


  3. N88 Says:

    @ Florence

    Merci pour le commentaire !

    C'est vrai que c'est parfois difficile de se sentir concerné par ces élections. Le vote blanc a le mérite de traduire un engagement, et il est plus fréquent qu'on pourrait le croire (presque 800 000 votes blancs au premier tour). Dommage qu'il ne soit pas officiellement reconnu.


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