Je n'ai pas beaucoup écrit sur le blog ces dernières semaines. Non pas que l'actualité fasse défaut. La crise qui frappe la zone euro laisse difficilement indifférent. Pourtant, il n'a jamais été aussi difficile de s'informer : que penser du plan massif mis en place par les États de la zone euro et par le FMI, de ces centaines de milliards mis sur la table pour calmer l'appétit des marchés ? Les médias sont contents. La crise est terminée. La dette des États, les déficits commerciaux, la faiblesse évidente de la monnaie unique, tout a été réglé en une nuit. Difficile à croire.
L'Union Européenne selon le traité de Lisbonne ne peut pas survivre. Un constat difficile à admettre pour les plus europhiles mais qui apparaît clairement au premier gros coup de vent. Parce que l'UE ainsi faite se situe dans un entre-deux intenable. Ni totalement fédérale, ni confédérale, elle se trouve à la croisée des chemins. Elle est dotée d'institutions supranationales, qui se trouvent paradoxalement dans l'incapacité d'agir sans le concours des États.
Or, les choix qui s'opèrent ces derniers jours renforcent la supranationalité. La proposition de la commission européenne de pouvoir examiner les budgets des États avant les parlements nationaux abonde en ce sens. Une proposition qui ne fait évidemment pas l'unanimité, la commission donnant l'impression d'hypothéquer les démocraties nationales sous prétexte de réduire les déficits.
On pose souvent depuis le début de cette crise la question de la dette publique. Mais il faut aussi reconnaître que les économies européennes deviennent de plus en plus différentes les unes des autres. Les modèles économiques se séparent, et les tentatives d'harmonisation de la commission ne font qu'aggraver la situation. La monnaie unique ne correspond plus aux besoins de chaque État européen. La diversité des situations économiques nécessitent plus de souplesse institutionnelle. Faire passer l'euro du statut de monnaie unique à celui de monnaie commune aurait l'avantage de permettre cette souplesse, avec la possibilité pour les États qui le souhaitent de dévaluer leur monnaie en accompagnement de leurs politiques de rigueur. Mais ce serait ouvrir la porte à une construction résolument confédérale de l'Europe, abandonnant les orientations ultralibérales actuelles, redonnant du pouvoir aux États-nations et aux peuples. Ni la BCE ni la commission européenne ne le souhaitent.
Tout est fait pour qu'une seule voie s'offre à nous. Les médias boudent les économistes hétérodoxes, alternatifs, l'UMP et le PS acceptent tous deux l'Europe supranationale comme seul choix possible. Être contre cette Europe, c'est être anti-européen. Impossible de la construire autrement pour nos deux partis dominants, qui estiment que toute critique contre la monnaie unique relève du nationalisme... A force de vouloir persévérer dans l'impasse supranationale, de se soumettre aux volontés des marchés financiers sans aucun projet d'avenir, de refuser de réformer en profondeur le logiciel européen, miné par l'oligarchie, c'est toute idée européenne qu'ils vont finir par tuer. Et il n'y aura pas lieu de s'en réjouir.
Il n'est pas évident de commenter des résultats électoraux. Par manque de recul, mais aussi parce que les analyses sont forcément partiales et partielles. Je m'arrêterai seulement sur deux faits qui m'ont marqué dimanche soir : le taux d'abstention et le recul de l'UMP.
Penser que le taux d'abstention (53,65%) est imputable à la seule crise économique actuelle, comme voudrait nous le faire croire le secrétaire général de l'UMP Xavier Bertrand, est un peu facile. Pour Frédéric Lefebvre, ce taux prouve l'absence de vote sanction. L'éventualité que de nombreux français soient restés chez eux face à la médiocrité du paysage politique actuel, écœurés par la superficialité de la campagne électorale, ne l'a pas effleuré. Triste campagne effectivement que celle qui aura multiplié les coup bas sans songer à l'intérêt des habitantes et habitants de régions. Car où est l'intérêt du peuple, où est l'intérêt de la France lorsque l'on déterre le casier judiciaire d'Ali Soumaré ? Où est l'intérêt de la France lorsque l'on reproche à Jean-Paul Huchon de ne pas connaître le prix d'un ticket de métro ? Si les problèmes que rencontrent au quotidien les Français ne sont pas traités dans leur profondeur et leur complexité, si tout devient communication et médiocrité, si la campagne se fait dans les caniveaux et les bacs à sable, comment s'étonner de l'abstention ?Pourtant la campagne s'est faite aussi sur le terrain, et certains programmes étaient sans doute de qualité. Mais l'écho médiatique de ces campagnes de terrain, de ces projets, d'où qu'ils viennent, a été presque inexistant. On donne un temps de parole démesuré aux deux grands partis, qui ne nous apprennent souvent plus rien. Les débats sont rares, les sondages partout, la France dans sa diversité politique nulle part. Les radios, les chaînes régionales (France 3) ont fait des efforts non négligeables pour passionner, pour donner la parole à tous. Mais le climat global de superficialité l'emporte, car c'est toujours le bipartisme qui donne le ton, qui impose le rythme et les thèmes. C'est ce bipartisme qui est majoritairement responsable de l'abstention. Les Français ne se reconnaissent souvent plus dans ces grands appareils de moins en moins crédibles. On pourrait ajouter que le problème devient civique face à la complexité de l'échelon régional : qui connaît aujourd'hui les réalisations précises de son président de région sortant ? Les compétences du conseil régional sont méconnues.L'UMP découvre quant à elle, déconcertée, l'échec de sa stratégie du parti unique. Rassemblée dès le premier tour, la droite parlementaire n'a plus aucun réservoir de voix. Pour elle, le second tour ne sera guère différent du premier. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment la droite parlementaire peut-elle réaliser, unie, un score inférieur à un PS concurrencé pourtant par Europe Écologie et par le Front de Gauche ? A force de vouloir tout contrôler, tout assécher, à force de vouloir tuer toute diversité politique à droite, l'UMP fait fuir les électeurs. Il est tout de même incroyable que les électeurs de droite républicaine n'aient pas eu d'autres choix que l'UMP dans de nombreuses régions. Force est de constater qu'il y a toujours eu plusieurs tendances à droite ces dernières décennies. Les anciennes droites orléanistes et bonapartistes n'ont pas disparu. Aujourd'hui subsistent toujours une droite libérale-affairiste, volontiers fédéraliste sur le plan européen, et une droite gaulliste républicaine, qui ne demande qu'à renaître (la percée de Nicolas Dupont-Aignan en île de France, devant le Modem et le NPA, le montre assez). Mais l'UMP a préféré brider les minorités ou les exclure, plutôt que de laisser émerger des pôles originaux susceptibles de se rassembler, par défaut, au second tour. Le résultat est criant : un asséchement intellectuel qui fait peur à voir.Des voix s'élèvent à droite pour appeler à un changement de stratégie. Un article du Monde évoque les voix dissonantes d'Alain Juppé, de Christian Vanneste ou encore de Lionel Luca. La politique de l'ouverture à gauche est souvent incriminée. Mais le vrai problème ne réside-t-il pas plutôt dans cette superficialité permanente, dans cette absence d'idée et de projet durable, dans les incohérences et les amateurismes, dans ce discours formaté enfin, au point que l'on avait l'étrange impression dimanche soir que tous les élus de la majorité avaient appris le même texte, vide de sens ? Pour mobiliser ses troupes, le président martèle, et fait marteler : ce ne sont que des élections régionales, aux enjeux régionaux. Il faudra alors nous expliquer pourquoi la moitié du gouvernement est en campagne.Les résultats par régions et par départements Le billet de Jean François Kahn
Le mécénat global
L'alternative du mécénat global a été pensée par Francis Muguet. Décédé le 14 octobre dernier, le livre lui est dédié. Mathieu Pasquini (fondateur et gérant d'InLibroVeritas) et Richard M. Stallman (président bénévole de la Free Software Foundation) ont voulu, à travers cet ouvrage, retranscrire la pensée de Francis Muguet. Le mécénat global envisagé propose de mettre l'internaute au cœur du processus de rémunération des créateurs en privilégiant le critère de l'appréciation plutôt que celui de l'utilisation, et en se focalisant à nouveau sur l'enjeu de la production et de la diversité des œuvres culturelles.
L'internaute-mécène
Les internautes versent dans le cadre du mécénat global une somme contractuelle fixe collectée par les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), qui est ensuite versée aux Sociétés de Perception et de Répartition des Droits d'auteur (SPRD) ou à une Société de d'Acceptation et de Répartition des Dons (SARD) pour ceux qui ne sont pas membres d'une SPRD. Ces sociétés reversent ensuite les dites sommes aux auteurs et artistes. Ce système vise donc à lier d'une part les internautes avec leurs fournisseurs d'accès à Internet, et d'autre part les auteurs avec leur société de gestion collective, ainsi qu'avec les internautes-mécènes. L'originalité du mécénat global, et c'est là sa principale différence avec la licence globale, est de consulter les internautes sur le montant de la somme versée ainsi que sur sa répartition. Qu'il s'agisse de la musique, des vidéos ou même de la presse en ligne (qui trouverait ainsi une source de financement bienvenue sans intervention étatique sélective), l'internaute est amené à indiquer dans un formulaire disponible sur son compte chez son FAI les références des œuvres qu'il désire rémunérer.
Le projet vise ainsi à renoncer à la surveillance du réseau ainsi qu'au recours à la gestion numérique des droits (DRM). Une nouvelle économie numérique pourrait émerger, mais cette fois dans une perspective de dé-commercialisation de la culture.
Déclaration de principes
Le schéma du mécénat global est souple, expérimental même. Ce projet de mécénat global, conçu pour être enrichi et amélioré, peut se résumer par la déclaration de principes suivante. Ces principes sont tirés de l'article de Richard M. Stallman, " Le Mécénat Global - 2" , pp. 288 à 290. Partage autorisé (Licence Art Libre et Creative Commons BY-SA) - notes complémentaires sur le schéma de principes ici.
" En termes généraux, le schéma de principe du mécénat global est caractérisé en ce que :
1) Chaque internaute est libre de diffuser à titre non commercial des copies conformes d'œuvres déjà publiées d'un auteur ou artiste membre d'une société de gestion collective ou Société de Perception et de Répartition des Droits d'auteur (SPRD) ou d'une Société d'Acceptation et de Répartition des Dons (SARD).
2) Chaque internaute a le choix entre :
a) ne pas souscrire au Mécénat Global, et, dans le cas des pays ou fournisseurs d'accès qui imposent une surveillance et/ou un filtrage afin d'empêcher le partage des œuvres, payer une contribution fixe pour assumer le coût de la surveillance et/ou le filtrage, qu'il serait inéquitable d'imposer aux souscripteurs du Mécénat Global.
b) payer une contribution fixe périodique à son fournisseur d'accès Internet, pour soutenir financièrement ces auteurs et artistes.
3) Chaque internaute peut attribuer librement des fractions de sa contribution fixe à des œuvres qu'il/elle choisit, dans des limites fixées de pourcentage.
4) Les contributions non explicitement attribuées sont réparties selon une fonction non-linéaire visant à diminuer les écarts entre les montants financiers versés finalement aux artistes et auteurs, de façon à favoriser la diversité et l'éclosion de nouveaux talents.
5) Des Sociétés d'Acceptation et de Répartition des Dons (SARD) sont créées afin de permettre le financement des œuvres numériques, par les internautes, selon leurs appréciations. Le schéma juridique et opératoire du Mécénat Global ne repose pas sur une exception aux droits exclusifs des auteurs, mais plutôt sur des dispositions d'ordre public dans les différentes relations contractuelles qui lient respectivement :
a) les internautes avec leurs Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI),
b) les FAI et les sociétés de gestion collective ou sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur (SPRD) et les Sociétés d'Acceptation et de Répartition des Dons qui reçoivent les fonds envoyés par les FAI.
c) les auteurs et artistes avec leurs SPRD ou SARD.
6) Chaque FAI calcule automatiquement les montants des contributions attribuées ; effectue le transfert des montants attribués à chaque œuvre à ses auteurs et artistes selon des règles établies; puis optionnellement les FAI répartit entre eux les montants destinés au même auteur ou artiste, de manière à maximiser pour lui le montant qui sera calculé dans l'étape suivante (cf. n°7).
7) Chaque FAI calcule automatiquement la fraction des contributions non-attribuées destinées à chaque auteur ou artiste, d'abord calculant le facteur pour chaque personne selon une fonction sublinéaire de son montant attribué, et puis divisant le total des fonds disponibles en proportion au facteur de chacun. La fonction à utiliser sera règlementée. Un exemple d'une fonction appropriée pour ce but serait la racine cubique.
8) Chaque FAI publie les montants des contributions attribuées à chaque œuvre, et à chaque auteur ou artiste, et le détail de la répartition entre les FAI, et les montants de contributions non-attribuées destinées à chacun, et transmet les montants et l'argent aux SPRD et aux SARD qui le distribuent aux auteurs et artistes avec des frais de gestion dont la limite est fixée par la loi.
Les SPRD et SARD seront obligées de mettre en œuvre le mécénat global, par contre les auteurs et artistes qui ne sont pas membres d'une SPRD ou d'une SARD ne seront pas obligés de participer au mécénat global."
Épilogue
L'avènement d'Internet a bouleversé les schémas classiques de la création artistique et culturelle. Personne ne le nie aujourd'hui en théorie. Et pourtant le tort des majors est bien de considérer que l'ère numérique ne change rien aux logiques du copyright et des monopoles, que les industries culturelles pourront continuer à exploiter le même schéma d'appropriation de la culture, quitte à corrompre au passage les pouvoirs publics. Les industries culturelles ont tout intérêt à favoriser l'émergence du partage libre et démocratique du savoir et de la culture, aucunement incompatible avec la nécessaire rémunération des auteurs. Le cœur du problème reste la volonté des pouvoirs publics. Face à la catastrophe législative et anti-républicaine que constitue Hadopi, on peut sérieusement douter de l'avenir du concept d'intérêt général sensé guidé ces pouvoirs publics. Mais la multiplication des engagements en faveur de la culture libre sur le net d'une part, et l'oreille attentive de certains députés compétents de tout bord de l'autre, doivent nous faire espérer une issue favorable à la bataille Hadopi. A condition de rendre le débat démocratique à nouveau possible.
PS : Vincnet 500 et moi-même souhaitons aux lecteurs et lectrices de ce blog une bonne année 2010 !