N88
Depuis le début de l'année, les déclarations relatives au protectionnisme n'ont cessé de fuser. Face à la crise économique, certains ont cru bon, à juste titre sans doute, de replacer le thème du protectionnisme au cœur du débat. Pourtant, les termes de ce débat semblent mal posés. Et pas seulement parce que ce sont toujours les mêmes économistes qui sont jugés télégéniques, mais aussi parce que les propos que l'on tient à l'encontre du protectionnisme en France relèvent souvent de l'hypocrisie.


Le protectionnisme est une forme d'interventionnisme économique. L'État protectionniste protège son économie contre la concurrence des autres États. La mise en place de barrières douanières, les politiques de subventions, aux acheteurs comme aux producteurs, relèvent entre autres du protectionnisme. Cette théorie économique du protectionnisme ne manque pas d'ennemis. De l'OMC à l'UE en passant par le FMI, elle est souvent décriée et considérée comme "une menace", comme "une tentation" à laquelle il ne faut surtout pas céder. Mais que reproche-t-on exactement au protectionnisme ?

Il est nécessaire de passer en revue les accusations souvent proférées, et qui relèvent à la longue de l'automatisme:
1)"le protectionnisme, c'est le nationalisme": la correspondance entre protectionnisme et nation n'est pas rigoureusement exacte. Le protectionnisme peut très bien s'envisager à l'échelle d'un groupe d'États ou même d'un continent. Quant à une identification systématique avec le nationalisme, elle ne résiste pas à l'examen. La Grande-Bretagne serait-elle un État nationaliste caché lorsqu'elle dévalue sa monnaie de 30% contre l'euro, comme elle l'a fait récemment ?
2)"le protectionnisme est le lot des régimes autoritaires": comme l'indique Roland Hureaux sur son blog, dans un article traitant du protectionnisme, les États-Unis ont renforcé leurs défenses douanières dans les années 30. La Grande-Bretagne a également fait preuve de protectionnisme sur la même période. Ces deux États ne passaient pourtant pas pour autoritaires face aux puissances nazies et staliniennes naissantes.
3)"le protectionnisme, c'est le totalitarisme" : c'est sans doute la critique la plus extravagante et la plus outrancière. Tous les États qui ont pris ou prennent des mesures protectionnistes ne sont évidemment pas totalitaires. Le totalitarisme prend sa source dans d'autres lois, qui lui sont propres, et qui conditionnent sa survie : les lois de la Nature pour le nazisme, et les lois de l'Histoire pour le totalitarisme stalinien.
4)"le protectionnisme a provoqué ou aggravé la crise de 1929": c'est la critique la plus fréquente et la plus tenace. La plus fondée aussi sans doute. Il n'est pas facile de répondre et le débat ne sera jamais clos sur ce point. L'économiste Jacques Sapir, dans un de ces articles, explique que l'effondrement du commerce international a surtout eu pour cause l'accroissement des coûts de transport et l'instabilité monétaire. La contraction du commerce a principalement lieu entre janvier 1930 et juillet 1932, c'est à dire avant la mise en place des mesures protectionnistes. Il est vrai en revanche que les dévaluations opérées ensuite ont certainement été outrancières.
5)"le protectionnisme a conduit à la seconde guerre mondiale": que le protectionnisme ait pu conduire à un repli étatique est admissible. En faire la cause directe et unique de la seconde guerre mondiale est assurément exagérée. Hitler ne semblait pas avoir besoin de la théorie protectionniste pour justifier ses méfaits. C'est oublier la rancœur allemande et le traité de Versailles de 1919. Le second conflit mondial fut suffisamment complexe pour qu'il paraisse absurde d'en donner une seule cause.
6)"le protectionnisme est un égoïsme": la critique du protectionnisme est aussi présente sur le plan moral. Cette identification entre protectionnisme et égoïsme a été effectuée par le pape Benoît XVI, dans une lettre adressée à Gordon Brown, dans le cadre du G20 de Londres. Nous renvoyons sur ce point à l'article de Roland Hureaux, qui mérite vraiment d'être lu avec profit.

Toutes ces critiques renvoient à l'idéologie néolibérale dominante. Elles reposent en réalité sur une hypocrisie. Comme l'explique très bien l'économiste Frédéric Lordon dans son article "La menace protectionniste, ce concept vide de sens", il est d'autant plus absurde de craindre le retour du protectionnisme qu'il est déjà souvent pratiqué. Parce que les économies nationales et les législations sociales et environnementales sont différentes, parce que le monde est hétérogène et qu'enfin la concurrence non-faussée est un mythe, de nombreux États pratiquent déjà des mesures protectionnistes. Les Américains protègent leur agriculture et leurs industries, la Grande-Bretagne dévalue, la Chine manipule ses taux de change. Et Frédéric Lordon de demander: "N'est-il pas absurde alors de hurler à la "menace protectionniste" dans un monde qui l'est nécessairement ? ".

La théorie protectionniste a certainement ses limites et ses faiblesses. Mais elle mérite d'être analysée et étudiée comme toute autre théorie. Face à la crise économique actuelle, s'interroger sur le bien-fondé du protectionnisme n'est pas vain. Encore faudrait-il pour cela se débarrasser des idées toutes faites et autres raccourcis historiques, et reconnaître surtout que le monde protectionniste est déjà advenu, là, sous nos yeux, et que la question n'est plus de le fuir mais de l'organiser pour éviter des prises de décisions unilatérales regrettables.


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